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étrangères. À mesure que la fleur de ses guerriers était moissonnée, son aristocratie sentait croître son importance et grandir ses privilèges. Bientôt ce ne fut plus un peuple, mais une caste. En même temps les victoires de Lysandre firent connaître aux Lacédémoniens une civilisation raffinée à laquelle jusqu’alors ils étaient demeurés étrangers. Éloignés de leur gymnase, débarrassés de la tutèle farouche de leurs vieillards, les Spartiates, envoyés dans les villes grecques ou asiatiques comme harmostes ou représentans de leur sénat dominateur, se familiarisèrent vite avec le luxe et ses jouissances. Ils s’y livrèrent avec l’emportement effréné de barbares délivrés d’une longue contrainte. Leur esprit exclusif, leur intolérance soupçonneuse, leur dureté militaire, leur mépris pour le reste des hommes, les rendaient partout odieux. Ils y joignirent, après la guerre du Péloponnèse, les violences les plus coupables et la cupidité la plus effrontée. Des soldats élevés au milieu de serfs toujours tremblans voyaient partout des hilotes, et se croyaient tout permis. La domination de Sparte fit regretter celle d’Athènes. Selon la remarque fort juste de M. Grote, les gouverneurs athéniens étaient retenus d’abord par la douceur de leur éducation nationale, puis ils savaient que tout acte arbitraire pouvait être dénoncé au peuple d’Athènes, juge souvent impartial, toujours sévère pour quiconque occupait un poste élevé. Abattre un homme puissant était un plaisir pour la démocratie athénienne ; elle épiait sans cesse ses actions ; elle avait des orateurs toujours prêts à tonner contre l’apparence même d’une faute. À Sparte, il en était tout autrement. Là, tout se faisait avec mystère. L’esprit de caste dictait les jugemens, et il était avéré qu’un Spartiate ne pouvait être condamné par ses pairs ; les éphores eussent sacrifié tout un peuple avant de sévir contre un enfant de leurs vieilles familles.

À côté de ces vieilles familles auxquelles tous les honneurs, tous les privilèges étaient réservés, il y avait à Sparte une classe de citoyens pauvres, incapables d’exercer la moindre influence dans l’état, et cependant soumis, comme les autres, à la discipline de Lycurgue, admis à partager les périls de la guerre, mais tenus à toujours dans une honteuse infériorité. C’étaient les plébéiens. Au-dessous d’eux, il y avait encore deux classes, les périoeques ou les domiciliés, et les hilotes ou les serfs. Les plébéiens, plus rapprochés des familles gouvernantes, témoins jaloux de tous les avantages dont elles jouissaient, n’avaient pas contre l’aristocratie de Sparte une haine moindre que celle des autres Grecs. Au milieu de la paix profonde qui suivit les victoires de Lysandre, un plébéien nommé Cinadon forma le projet de détruire le gouvernement de sa patrie en soulevant les périœques et les hilotes. La conspiration fut découverte au moment où elle allait