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de les produire dans le domaine des choses de l’esprit. C’est une de ses plus récentes publications qui a mis l’Espagne sur la trace de toute une période poétique dont elle ignorait le vrai caractère. C’est ce nouveau document, destiné à compléter l’histoire des lettres espagnoles dans une de leurs phases les moins connues, que nous voudrions faire connaître, en nous aidant de l’excellente publication de M. de Pidal.

Il y a quelques années déjà, l’éditeur du Cancionero de Baena avait préludé à ce grand travail par la découverte et la publication de trois poèmes du XIIIe siècle enfouis dans la bibliothèque de l’Escurial[1]. Aujourd’hui, la belle édition qu’il donne du Cancionero de Baena rend un nouveau service à l’histoire des lettres et des idées de L’Europe moderne. Les difficultés qu’il a fallu vaincre pour mettre en lumière ce trésor poétique se rattachent de trop près à la destinée même du Cancionero, pour que nous n’en disions pas ici quelques mots.

On n’avait connu pendant longtemps et M. de Pidal ne connaissait lui-même le Cancionero que par les extraits contenus dans le premier volume de la Bibliotheca rabinica de don José Rodriguez de Castro, publiée, à Madrid en 1781. La Bibliothèque de Paris s’était assuré la possession de cet inestimable recueil poétique, qui avait été autrefois un des ornemens de la bibliothèque de l’Escurial. Dès que M. de Pidal put prendre part au gouvernement de son pays, comme ministre des affaires étrangères, il demanda et obtint sans peine de la générosité éclairée du gouvernement français le prêt, pour deux mois, du manuscrit. Déjà une copie, en avait été faite à Paris par les soins d’un laborieux et savant écrivain, M. Eugenio de Ochoa. D’accord avec le célèbre orientaliste don Pascual Gayangos, M. de Ochoa se chargea de la collationner avec le texte et de surveiller l’exécution typographique du livre. Tel est l’ensemble d’efforts auquel on doit la belle édition du Cancionero de Baena[2].

Le manuscrit du Cancionero existant aujourd’hui à Paris est l’unique exemplaire connu, et l’on est fondé à conjecturer sans trop de témérité que c’est le même volume qui fut présenté par le Juif Baeba au roi Jean II[3]. Le luxe et l’élégance de cet exemplaire grand in-folio, écrit en beaux caractères

  1. Libro de Apolonio - Vida de Santa Maria Egipciaca. — Adoracion de los Santos Reyes, Madrid, 1841.
  2. Cette édition a été enrichie de notes nombreuses et savantes par MM. Duran et Gayangos, de quelques appendices contenant des poésies du roi Jean II et du connétable don Alvaro de Luna, tirés des Cancioneros inédits de la bibliothèque particulière de la reine d’Espagne, confiés par la reine elle-même à M. de Pidal ; d’un glossaire, et de deux beaux fac simile des premières pages du manuscrit original. Le marquis de Pidal a fait précéder le Cancionero d’une remarquable introduction sur la Poésie castillane au quatorzième et au quinzième siècle.
  3. D’après M. Tiknor, la compilation de Baena fut faite en 1448. Sans se prononcer aussi formellement que M. Ticknor, les annotateurs du Cancionero semblent partager cette opinion. Le Cancionero lui-même fournit à cet égard quelques données assez certaines ; il ne fut compilé ni après 1484 (année de la mort de Jean II), ni avant 1453, puisqu’il contient une pièce sur la mort de Ruy Diaz de Mendoza, lequel reçut, cette même année, la mission de garder la personne du connétable Alvaro de Luna. On peut voir à ce sujet la Cronica de don Juan II.