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son époque. Outre l’italien, il savait le latin, l’arabe, l’anglais, le français, et il aimait à intercaler dans ses productions des phrases de ces diverses langues. Il fut donc très admiré dans un siècle où l’instruction était si rare, qu’on la prenait pour du talent. S’il ne fut pas le premier, ainsi qu’on l’a prétendu, qui fit connaître Dante à l’Espagne, il n’en mérite pas moins d’être considéré sur ce point comme un véritable initiateur. Il parle à tout propos de Dante ; il l’imite, il l’invoque ; il le présente toujours comme la première autorité poétique. Le goût de la Divine Comédie existait déjà dans la littérature espagnole ; depuis Impérial, il y régna.

En 1405, Impérial chanta, ainsi que tant d’autres troubadours, la naissance de Jean II. Le poème qu’il composa à cette occasion mérite une mention spéciale. C’est un spécimen étrange et remarquable de la poésie savante du temps : luxe d’érudition, symbolisme, abstractions personnifiées, confusion des noms historiques, mythologiques et chevaleresques, influences astrologiques, rien n’y manque. Comme Dante, son idole, Impérial développe sa pensée dans le cadre d’une vision, bercé par un demi-sommeil, comme il le dit lui-même, il voit apparaître, dans une prairie enchantée et sous la forme de dames et damoiselles aux parures splendides, les Planètes, la Fortune, la Noblesse, la Tempérance, la Prudence et plusieurs autres vertus. Les damoiselles commencent par chanter un Te Deum, puis le Benedictus qui venit et le Deus judicium « d’un ton que jamais on n’entendit ici-bas[1]. » Ensuite les Planètes et la Fortune prononcent avec la solennité « des cortès ou des conclaves » plusieurs discours, dans lesquels elles accordent à pleines mains à l’infant nouveau-né tous les dons du ciel et de la terre. Saturne lui donne, entre autres choses, la prudence et le bon sens ; Jupiter, la science de Salomon, la véracité, le bonheur ; Mars le rend courageux comme Hector, bon cavalier, vainqueur des vainqueurs, éminent dans l’art de la guerre et des batailles[2] ; le Soleil lui accorde la force d’Hercule, la beauté d’Absalon, la gloire de défendre les faibles, la monarchie universelle d’Alexandre et de Jules César, enfin l’or et toutes les pierres précieuses de la terre. Vénus lui assure les attraits de l’esprit et de la conversation, la science d’amour d’Ovide, les bonnes fortunes de Pâris, de Tristan le Léonais et de Lancelot du Lac. Mercure lui apporte la connaissance du droit civil, les finesses dialectiques de saint Augustin, le langage insinuant, l’activité, l’aiguillon de l’espérance. La Lune le rend habile chasseur, et lui promet la santé, l’air pur, les belles fleurs, les abondantes récoltes, la justice pour son règne, la bonace pour ses flottes. Arrive ensuite la lourde la Fortune, cette dame trouve passablement prétentieuses les offres des Planètes, et ne manque pas de les considérer comme des empiétemens faits sur son autorité : « Vous promettez bien libéralement, leur dit-elle, trésors, puissance, honneurs, états ; vous oubliez que ces biens sont tous à moi. Mes dons, que je transfère et retire à ma guise, de génération en génération, l’emporteraient bien vite, malgré leur mobilité, sur les vôtres, si on mettait les uns et les autres en balance. » Heureusement la Fortune,

  1. Que nunca se oyo qui entre la gente…
  2.  De los vencedores sea el vencedor…
    De guerra é batallas muy grand sabydor….