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Romains, les marches de Gengis-khan dans la Haute-Asie. Sur sa bosse arrondie, le chameau porte le pierrier de campagne ; à l’éléphant est réservée la tâche d’attaquer et d’enlever les palissades de pieux, de fouler aux pieds les fantassins serrés en phalanges comme les bambous de la forêt. Quand il s’agit d’affronter le tigre, c’est encore à l’éléphant de jouer le premier rôle ; au-dessus des hautes herbes, son dos noir s’élève comme une tour ; il s’avance balançant dans l’air le pavillon léger dans lequel sont embusqués les chasseurs. La voix aigre et tremblante du cornac anime la puissante bête, qui relève sa trompe pour la soustraire aux griffes terribles de son ennemi, et répond au rugissement de celui-ci par un cri rauque et lugubre. La terre s’ébranle sous les pas de l’éléphant, contre lequel le tigre s’élance comme à l’assaut. Les deux plus redoutables bêtes de la création sont aux prises, et l’homme s’exalte à ce spectacle sanglant qu’il a provoqué.

Les Hindous ont toujours eu la passion de la chasse ; dans leurs légendes, il est souvent question de rois qui, cédant au plaisir de courir la forêt, oublient le soin des affaires. Les vignettes dessinées dans le pays représentent quelquefois les princes avec un gerfaut sur le poing ; la chasse à vol a été pratiquée dès les temps anciens par les Tartares, et l’usage en fut sans doute introduit dans l’Inde par les Mogols de la Perse ; aujourd’hui même, on voit encore vendre, dans les rues de Calcutta, d’Agra et de Dehli, des gerfauts chaperonnés. Ce n’était pas assez d’avoir fait servir les oiseaux de proie à leurs plaisirs, les radjas ont trouvé le moyen d’utiliser dans le même sens les quadrupèdes carnassiers. On a dressé pour la chasse, dans plusieurs contrées de l’Inde, le guépard[1], gracieux animal de la famille des félins. Le guépard est dompté, mais aussi peu apprivoisé que le sont les oiseaux de fauconnerie ; il travaille pour lui-même, et non pour son maître, qu’il n’aime pas. On le mène en campagne enfermé dans une cage que l’on attache sur un chariot à bœufs ; il a les yeux bandés. Arrivés sur le lieu où ils espèrent trouver le gibier, les chasseurs commencent à galoper en cercle, de manière à ramener les gazelles vers le point central, qui est le chariot du guépard. Quand on suppose que les gazelles sont assez rapprochées de la bête, on délie celle-ci, on lui rend l’usage de ses yeux, et on ouvre la cage. Le guépard s’est vite orienté ; il a flairé les timides animaux ramenés autour de lui ; cauteleux et agile, il saute ; doucement à bas du chariot et se faufile, en s’allongeant à la manière du chat, derrière un monticule, dans un buisson, sans être aperçu de la bête qu’il guette. Dès que la gazelle passe à sa portée, il s’élance et l’atteint d’un bond ; alors survient le gardien, qui cherche à lui faire

  1. Felis jubata ; — dans la langue de l’Inde, on le nomme tchitâ.