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remède aurait valu beaucoup mieux que le mal, et il est à regretter que le succès n’ait pas couronné les tentatives des savans rochelais. Ils réunirent dans un même bocal un nombre à peu près égal de ces deux espèces d’insectes. La bataille commença sur-le-champ, et il fut bientôt facile d’en prévoir l’issue. Les termites faisaient des blessures bien plus profondes ; les soldats surtout, d’un seul coup de leurs terribles pinces, coupaient les fourmis en deux comme avec des ciseaux. En peu de temps, celles-ci furent exterminées, tandis que les termites ne comptèrent d’abord qu’un assez petit nombre de morts. Pourtant, le lendemain, près de la moitié avait péri, tués très probablement par l’acide que sécrètent les fourmis, et qui avait empoisonné les moindres blessures.

Malgré les insuccès de mes prédécesseurs, je ne désespérais pas d’atteindre les termites. Je comptais pour cela sur quelqu’un de ces poisons gazeux que prépare la chimie, et qui par suite de leur nature même peuvent pénétrer dans les réduits les plus étroits. J’avais entendu un des fondateurs de la science moderne raconter comment il était venu à bout d’exterminer les souris qui, malgré les pièges de tout genre, infestaient sa maison. Après avoir fermé avec soin les trous percés par ces petits mammifères, M. Thénard avait adapté à l’un d’eux un appareil dégageant de l’hydrogène sulfuré, et les souris ainsi emprisonnées, ne pouvant respirer que de l’air vicié, étaient mortes empoisonnées. Par suite du mode de respiration spécial des insectes, les termites devaient bien plus encore que les souris être sensibles à l’action d’un gaz délétère[1]. Pour que ce procédé des injections gazeuses leur devînt applicable, deux conditions suffisaient. Il fallait que leurs édifices présentassent un ensemble continu de galeries et de chambres pour que le gaz put pénétrer partout : mes observations ne me laissaient aucun doute à ce sujet. Il fallait ensuite trouver un gaz aussi dangereux pour ces insectes que l’hydrogène sulfuré l’avait été pour les souris, et ici des expériences directes devenaient nécessaires. Un grand nombre de substances, qui sont pour l’homme et les autres vertébrés d’énergiques poisons, n’agissent que faiblement sur les invertébrés, et en particulier sur les insectes. L’hydrogène sulfuré, si heureusement employé par M. Thénard, est de ce nombre : il fallait donc le remplacer. Grâce à M. Robillard, pharmacien en chef de l’hôpital militaire, le laboratoire de cet établissement fut mis à ma disposition. Des termites fraîchement recueillis

  1. On sait que chez les insectes la respiration se fait non point par des poumons, c’est-à-dire par un organe circonscrit, mais par des trachées ou canaux ramifiés, qui vont porter l’air dans toutes les parties du corps. On comprend que chez ces animaux un poison gazeux, porté à la fois dans tout l’organisme, doit, toutes choses égales d’ailleurs, agir avec une bien plus grande énergie.