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fit l’auteur en s’en allant de Venise à Rome. Il n’avait pu voir le carton de Michel-Ange exposé au Palazzo Vecchio sans être pris du désir d’en copier quelque chose. Son choix tomba sur un groupe de trois soldats florentins que les Pisans surprennent au bain, dans l’Arno, et qui se hâtent de grimper sur la berge pour ressaisir leurs armes et leurs vêtemens. Ces figures entièrement nues se prêtent par leurs poses aux grands effets de raccourci qu’affectionnait Michel-Ange. Pour un homme qui sortait de copier pendant trois ans Albert Dürer, l’entreprise était hardie d’oser imiter l’ampleur et l’accent fougueux du maître florentin. Marc-Antoine s’en est habilement tiré, bien qu’en atténuant un peu, selon toute apparence, l’énergie de l’original. Sans aller jusqu’à la sécheresse, son dessin, dans ces trois figures, est plutôt correct qu’animé, on voit qu’il a fait effort pour être pur, pour écarter tout souvenir septentrional ; mais il ne s’est imposé cette gêne que pour les figures seulement, pour la partie principale de sa planche ; quant au reste, quant aux accessoires, il s’est dédommagé. Sait-on dans quel fond de paysage il a placé ces trois Florentins ? Dans une forêt tirée trait pour trait d’une estampe faite deux ans auparavant par Lucas de Leyde et représentant le moine Sergius tué par Mahomet (n° 126 de l’œuvre de Lucas de Leyde, catalogue de Bartsch). Ce sont les mêmes arbres, les mêmes lointains, la même cabane de bois avec son grand toit pointu ; il n’a omis qu’un tronc d’arbre sur le devant, et de plus il a changé en soldats pisans les quatre bûcherons qui, dans le fond à gauche, débouchent de la forêt. Ainsi à moitié route, et malgré Michel-Ange, il n’était pas encore converti : la bigarrure venait au bout de son burin malgré lui. Cette planche des Grimpeurs tient donc aussi sa place, dans l’histoire de notre artiste : elle porte la dernière trace de cet esprit sans discipline, de cette tendance aux disparates dont jamais à lui seul il ne se fût délivré, mais qui allait définitivement disparaître, à Rome, sous une souveraine influence.

Nous n’avons pas dessein de suivre Marc-Antoine dans la partie de sa vie où le voici parvenu ; nous nous engagerions dans un trop long récit, même en ne parlant que de ses chefs-d’œuvre. Apprécier durant cette période son talent de graveur proprement dit, caractériser ce talent, en indiquer la portée et la limite, comparer ses procédés et ses effets aux effets et aux procédés de la gravure moderne, ce serait s’exposer à refaire sans profit ce qui a été fait bien des fois, et à redire ce qu’ici même on a dit, assez récemment encore, avec une saine critique et un jugement exercé[1]. Apprécier au contraire

  1. Voir, dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1850, un article de M. Henri Delaborde sur l’histoire de la gravure.