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eut la douleur d’assister ! Il put prévoir avant de mourir la fin prochaine de cet Rart allemand qui dans sa main paraissait si vivace. La gravure, pendant près d’un siècle, cessa de vivre partout ailleurs qu’en Italie ; elle ne reparut en Flandre que sous les auspices de Rubens, mais dans des conditions et des données toutes nouvelles, avec mission d’imiter avant tout la couleur. Il est dans la destinée des grands peintres de se créer des interprètes à leur usage. Le système de gravure fondé par Raphaël répondait à sa façon de comprendre son art ; Rubens a dû fonder aussi le sien : Vorsterman et Bolswert ont été ses Marc-Antoine.

La différence capitale entre ces deux systèmes, c’est que l’un aspire à reproduire les tableaux, tandis que l’autre se contente de copier les dessins. L’idée de rendre par l’artifice et la combinaison des tailles un effet analogue au coloris est une idée que n’a jamais conçue ni Marc-Antoine ni aucun de ses disciples, une idée du XVIIe siècle, pratiquée seulement depuis cette époque. Il ne s’agit point ici de décider, entre ces deux systèmes, lequel est supérieur à l’autre : si l’un ne perd pas en mérite sérieux et durable ce qu’il gagne en séduction si, pour les arts du dessin, la première loi n’est pas de rester en-deçà des limites de leur puissance et de ne jamais empiéter sur le domaine d’autrui. Tout cela n’est point en question. Nous ne voulons constater qu’un fait, c’est que Marc-Antoine, pour reproduire les tableaux de Raphaël, n’a jamais attendu qu’ils fussent peints. Ce sont les dessins, les idées premières de ces tableaux qu’il a rendus sur le cuivre, sans s’inquiéter si le peintre une fois le pinceau dans ses doigts, n’y changerait pas quelque chose. Il en est résulté pour nous un immense avantage. Une foule de compositions que le grand artiste n’a pas eu le temps de peindre nous ont été conservées, et quand à celles qui sont devenues des tableaux, au lieu de nous en avoir transmis seulement des copies intelligentes, ce qui serait déjà un prix inestimable, Marc-Antoine nous a donné quelque chose de mieux, des variantes, des premières éditions de ces tableaux, des tableaux nouveaux pour mieux dire. C’est ainsi qu’il existe deux Parnasse, celui du Vatican et celui de Marc-Antoine, deux sainte Cécile, et certes, quelque admirable que soit dans le tableau de Bologne la chaste fiancée de Valérien, nous ne savons si, dans la gravure, son expression n’est pas plus profondément belle, son découragement des choses de ce monde plus saintement exprimé, et l’ensemble de la composition plus simple et plus saisissant.

Ainsi le système de gravure pratiqué par Marc-Antoine a contribué à rendre plus complets et plus variés les souvenirs qu’il nous a laissés de son maître. De tous ces brillans disciples qui entouraient le grand artiste, c’est lui peut-être qui le comprit le mieux