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et qui lui fut le plus utile. Les autres ont copié ses tableaux, aidé même à en faire quelques-uns ; lui, comme un secrétaire pénétrant et laborieux, il a enregistré toutes ses pensées, même les plus intimes et les plus fugitives. Il s’était si bien pénétré de son esprit, que, même après sa mort, il lui obéissait encore, et croyait graver d’après lui, quand il copiait les dessins d’un autre. C’est ainsi que Baccio Bandinelli passe pour avoir fait ce beau Martyre de saint Laurent, si heureusement corrigé par Marc-Antoine. Pauvre Baccio, qui fut assez sot pour dire qu’il ne reconnaissait pas son dessin et pour aller s’en plaindre au pape ! il s’attira cette réponse : — Rassurez-vous, mon cher, il a peut-être changé quelque chose, mais il n’a rien gâté.

Au bout de quelques années pourtant, surtout après le sac de Rome, où Raimondi perdit et fortune et santé, son talent sembla dévier quelque peu et sa mémoire devenir moins fidèle ; du moins les dernières planches qu’on lui attribue le laisseraient supposer. Mais il en est peut-être de ces dernières planches comme de certaines actions peu édifiantes dont on a chargé sa mémoire : il est possible qu’elles lui soient faussement attribuées. Nous penchons à croire avec M. Delessert que, sans être un petit saint, Marc-Antoine ne fut pas un aussi grand pécheur que quelques biographes l’ont voulu dire. Quant à ses démêlés avec la justice vénitienne à propos de l’imitation des planches et de la marque d’Albert Dürer, c’est, selon toute apparence, un conte de Vasari. Rien de moins probable à cette époque et dans les idées du temps qu’un procès en contrefaçon. Nous ne croyons guère non plus qu’un autre genre de supercherie, la reproduction de ses propres œuvres, ait été cause de sa mort, qu’il ait été poignardé pour avoir gravé et vendu une fois de trop son Massacre des Innocens. La preuve est à peu près acquise aujourd’hui que la seconde planche n’était pas de lui, mais de Marc de Ravenne. Ce qui serait plus difficile, ce serait de le blanchir d’un méfait qui lui valut une rude disgrâce et un emprisonnement rigoureux, nous parlons de sa participation à la publication obscène de son ami l’Arétin. Que Clément VII ait pris la chose un peu trop vivement, eu égard à l’état de licence de la société romaine, c’est possible : mais notre artiste, il faut le dire, avait bravé les bienséances un peu trop effrontément. Raphaël lui manquait pour éviter cette méchante affaire. On peut faire la remarque que tous les mauvais bruits qui ont couru sur le compte de Raimondi ne concernent que la fin et le commencement de sa vie, d’où semble résulter que quand il avait là son maître, quand il professait pour lui une respectueuse soumission, il se respectait mieux lui-même. Raphaël était une providence aussi bien pour sa morale que pour son talent.