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plutôt, si cela pouvait se dire, une rêverie de ses mains qu’une occupation. Lentement, sans étude, sans prendre aucun souci de ces grossières ébauches, Zéphyr avait acquis une certaine facilité qui attira un jour son attention. En examinant un de ces rustiques caprices, il s’étonna sincèrement d’en être l’auteur ; ce fut alors que l’idée lui vint de reproduire les objets qui l’entouraient. Il copia avec servilité les feuilles des arbres et les plantes. Peu à peu il introduisit de la variété dans ses sujets ; outre les feuilles, les fleurs, les fruits et les plantes, il s’appliqua à reproduire les oiseaux, les insectes, le lézard ermite des pierres, la couleuvre furtive, la grenouille habitante des marécages. Au bout d’un an de pratique quotidienne, sans autre guide que la nature, sans autre étude que l’observation, sans autre outil que son couteau, il possédait une habileté véritable ; mais cette habileté même, qui avait, par toutes les transitions du progrès, succédé à la barbarie de l’exécution primitive, n’avait rien altéré de sa naïveté. Ce qui n’avait d’abord été qu’une distraction et un amusement lui devint bientôt une nécessité impérieuse, un besoin véritable. Quand il avait un sujet en tête, il éprouvait cette fièvre connue des artistes, et qui ne se calme que dans les ardeurs du travail même. Ce fut alors qu’au prix d’une rude correction ou de la suppression d’un repas, il acheta chaque jour quelques heures de liberté.

Cependant il en vint à se demander si cette industrie de son choix était susceptible de nourrir son maître, et comme cette appréhension l’inquiétait, il résolut d’en avoir le cœur net. Il se rendit donc un matin à la foire de Nemours, emportant avec lui une douzaine de ses petits ouvrages qu’il étala sur le pavé, et il attendit gravement la pratique. Les curieux vinrent, mais point les chalands. Vers la fin du jour, et comme Zéphyr commençait à se désespérer, un homme s’était brusquement arrêté devant son étalage, avait examiné les uns après les autres les objets composant sa pacotille, et, sans même lui en demander le prix, lui avait proposé d’acheter tout l’étalage en bloc pour une somme de dix francs. Zéphyr n’avait point réfléchi qu’il allait livrer presque pour rien le résultat de six mois de travaux : il était demeuré ébloui par l’éclair des deux écus qu’on faisait briller à ses yeux, et il avait consenti au marché. Son acquéreur, qui était un marchand de curiosités de Fontainebleau, lui avait en partant laissé son adresse, en l’informant qu’il était tout disposé à lui acheter tous ses ouvrages aux mêmes conditions.

Zéphyr était revenu à Montigny presque fou de joie. Il voulait travailler beaucoup, amasser un gros sac d’écus, et l’offrir au bonhomme Protat pour s’acquitter envers lui des dépenses que son adoption lui avait occasionnées, et que celui-ci lui reprochait tous les jours. Dans cette intention, il avait déjà mis de côté près de quatre-