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espèce, Le vieux Pan entre à grand’peine dans le cortège d’un jeune dieu fort à la mode, Dionysos. Hermès, le grand dieu pélasgique, est réduit à garder le coin des routes et à montrer le chemin aux voyageurs, engagé dans sa gaine, L’honnête Vulcain, ce consciencieux travailleur, ne monte dans l’Olympe que pour essuyer les coups de pied de Jupiter, les rebuffades de Vénus, lui si serviable, si laborieux. Tous ces dieux antiques d’un peuple industrieux, — dieux forgerons, dieux agricoles, dieux pasteurs, divinités tristes, sérieuses, utiles, peu favorisées des grâces, — deviennent des demi-dieux, satellites ou serviteurs de dieux plus nobles. En général, les héros représentent des dieux étrangers qui n’ont pas su prendre rang parmi les divinités nationales, ou des divinités déclassées qui ne vivent plus que dans les superstitions populaires. Rarement, en effet, les dieux détrônés l’étaient sans compensation. Les nouveaux cultes ne détruisaient pas les anciens, mais les rejetaient dans l’ombre ; plus souvent encore ils se les assimilaient, en devenant comme de vastes creusets où les mythes et les attributs des dieux plus anciens se fondaient sous un nom nouveau. Ainsi les mythes de Cérés et de Proserpine absorbèrent presque tous les autres ; ainsi les mystères sabaziens de Phrygie firent fortune en se greffant sur ceux de Bacchus.

Ce fut surtout lors de l’invasion des mystères sabaziens, vers le VIIe siècle avant notre ère, que se manifesta chez les Grecs cette singulière curiosité pour les rites étrangers, que saint Paul, en excellent observateur, donne comme un des traits de leur caractère[1]. Les cultes d’Attis, de Cybèle, d’Adonis, avec leurs bruyantes orgies, leurs clameurs, leur génie sauvage et licencieux, surprirent le goût si pur de la Grèce. Il y eut surtout un dieu mort, Zagreus, qui fit tout d’abord une prodigieuse fortune. C’était Dionysos lui-même, le dieu toujours jeune, que l’on supposait frappé dans sa fleur, connue Adonis, et qu’on honorait d’un culte sanglant Repoussés avec dégoût par les gens d’esprit et les hommes honnêtes, ces cultes lurent exploités par de grossiers charlatans (mystes, métragyrtes, orphéotélestes, théophorites), imitateurs des honteuses dépravations des sacerdoces phrygiens, qui couraient les rues et les carrefours, et faisaient leurs dupes dans la foule crédule. Ils remettaient les péchés pour quelque argent, indiquaient des indulgences, composaient des philtres et guérissaient des maladies. « Après les quêteurs de la mère des dieux, dit un des interlocuteurs du Banquet d’Athénée, par Jupiter ! c’est la plus détestable engeance que je connaisse. »

Ainsi se trouve réduite à sa juste valeur l’influence orientale que M. Creuzer avait si fort exagérée. Cette influence ne s’exerce qu’à une date relativement moderne, et signale une dégradation des cultes helléniques. L’élément barbare ne se glisse d’abord qu’en prenant l’apparence et la couleur du mythe grec. Plus tard, les cultes étrangers ne se donneront plus la peine de changer de vêtement. Isis, Sérapis, Mithra, viendront trôner en pleine Grèce, sous leur accoutrement exotique, comme pour préluder à ces monstrueux amalgames où les superstitions de l’Orient et celles de l’Occident, les excès du sentiment religieux et ceux de la pensée philosophique, l’astrologie et la magie, la théurgie et l’extase néo-platonicienne semblent se donner la main.

  1. Actes des Apôtres, chap. XVII, v. 22.