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par un autre côté, la végétation annuelle avec ses diverses périodes de floraison et de fanaison, etc ? On peut douter que ces considérations abstraites eussent eu pour les femmes grecques tant de chaumes. Qu’est-ce donc qui les faisait courir en foule pour pleurer Adonis ? Le désir de pleurer un jeune dieu trop vite épanoui, de le contempler couché sur son lit funèbre, épuisé dans sa fleur, la tête languissamment penchée, entouré d’oranges et de plantes d’une végétation hâtive qu’on voyait éclore et mourir, de l’ensevelir de leurs mains, de se couper les cheveux sur son tombeau, de se lamenter et se réjouir tour à tour, de savourer en un mot toutes les impressions de joies éphémères et de tristes retours groupées autour du mythe d’Adonis.

Ainsi, loin que le culte fut toujours la conséquence d’une légende mystique acceptée comme un dogme, c’était bien souvent le mythe qui se subordonnait aux instincts de la foule et y fournissait un prétexte. Il faut se rappeler d’ailleurs que le mot de foi n’a pris un sens que depuis le christianisme, et que dans les questions de symbolique religieuse, il ne s’agit pas pour le peuple de comprendre ou ne pas comprendre ; tout y est significatif, il est vrai, mais non pas directement. L’impression résulte de l’ensemble et non de l’intelligence de chaque particularité. On suit avec plaisir ces drames qui parlent aux yeux sans s’inquiéter de leur signification métaphysique. « Aristote, dit Synésius, est d’avis que les initiés n’apprenaient rien précisément, mais qu’ils recevaient des impressions, qu’ils étaient mis dans une certaine disposition d’âme. » C’est cela même. Il résultait de cet ensemble une sorte d’enseignement indirect comme pour un homme simple qui assiste aux offices sans savoir le latin et sans pénétrer le sens de tout ce qu’il voit. C’était comme un sacrement agissant par sa vertu propre, un gage de salut conféré par l’attouchement d’objets sensibles, avec des formules consacrées. Le baptême dans les premiers siècles de l’église, bien qu’il fût ouvert à tous, conservait néanmoins les caractères d’une initiation. M. Lobeck, du reste, a fort bien montré que les conditions imposées aux initiés étaient tellement vagues et illusoires, que les mystères n’avaient plus ni privilège ni secret. C’était un vrai pêle-mêle. Pour y être admis, il suffisait d’être Athénien ou d’avoir un parrain à Athènes. Plus tard, les portes furent ouvertes à deux battans, et tous ceux qui pouvaient faire le voyage étaient initiés.

Sans s’exagérer le côté moral et philosophique des mystères, auquel, il faut l’avouer, on pensait assez peu, sans s’arrêter non plus à ce que ces pratiques auraient pour nous d’insignifiant et de fade, un ne peut nier qu’elles n’aient puissamment contribué à entretenir la tradition religieuse et morale de l’humanité. « Longtemps, dit M. Guigniaut, les mystères pacifièrent les âmes par ces augustes cérémonies qui révélaient la destinée de l’homme dans l’histoire transparente des grandes déesses de l’initiation, et qui le rendaient digne, en le purifiant, de vivre sous leur empire et de partager leur immortalité. Ils excitèrent jusqu’à la fin dans l’âme des initiés des impressions, des sentimens, des idées mêmes proportionnées aux dispositions, quelquefois aux opinions qu’ils y apportaient, mais qui rentrent en général dans le cercle de la légende sacrée. Il est certain que les mystères d’Eleusis en particulier eurent une influence morale et religieuse, qu’ils consolèrent la vie présente, enseignèrent à leur manière la vie à venir, qu’ils en promirent les récompenses