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ADELINE PROTAT.

vingts francs ; mais son amour pour Adeline et les derniers événemens qui en avaient été la conséquence avaient depuis modifié le programme de son ambition. Aussi, depuis la veille, il était bien décidé à faire toutes les volontés de son maître, tant il craignait de quitter la maison.

— Ainsi, lui avait demandé Lazare, pour rester auprès de Mlle Adeline, tu consentiras à faire une besogne qui te répugne ?

— Oui, dit Zéphyr.

— Et tu renonceras à un travail qui te plaît ?

— Oui, continua l’apprenti avec un accent qui indiquait suffisamment combien cette renonciation lui était pénible, surtout depuis que Lazare, dans la fougue d’un premier mouvement d’enthousiasme, avait élargi et pour ainsi dire doré l’horizon de ses ambitions.

Ce qui avait surtout frappé l’artiste dans les compositions de Zéphyr, c’était leur cachet gracieusement naïf. Parmi ces groupes rustiques que Lazare venait d’examiner, il en était plus d’un qui n’aurait point été déplacé sous la vitrine d’un musée. Il y avait plus et mieux que de la patience dans ce travail conçu et exécuté en dehors de toute notion d’art et de toute règle d’esthétique. L’originalité s’y montrait sans recherche et la grâce sans effort. L’adresse d’une main expérimentée et rompue à toutes les roueries de l’instrument aurait pu sans doute trouver à reprendre dans l’exécution, mais ces défauts étaient le plus souvent d’heureuses gaucheries. Le caractère du talent de Zéphyr le rattachait à cette famille d’artistes, pour la plupart anonymes, qui, à l’époque de la renaissance, créèrent ces meubles merveilleux que la spéculation sut d’abord rechercher au fond des vieilles provinces, et dont la reproduction fut ensuite livrée au ciseau banal d’une foule d’artisans malhabiles. En disant à l’apprenti de son hôte qu’il avait une fortune entre les mains, Lazare n’avait rien exagéré, pour l’avenir du moins. Ce débouché que Zéphyr avait trouvé pour ses productions dans la boutique de bric-à-brac de Fontainebleau, il le trouverait de même à Paris, plus facile encore et plus avantageux. Du gain de ce travail il pourrait vivre, en même temps qu’il demanderait à l’étude le complément et le développement de ses facultés naturelles, et, au bout de quelques années, grâce à l’originalité de son talent, grâce surtout à sa rareté, il pourrait prendre dans l’art moderne une place honorable. Dans des termes qu’il s’efforça de mettre à la portée de l’intelligence de Zéphyr, Lazare lui fit comprendre à quel avenir il pouvait prétendre.

— Dès aujourd’hui tu es le maître de ta destinée, lui dit-il. Ce que tu pensais n’être qu’un état plus amusant que celui de sabotier, c’est un art. Tu n’es pas un ouvrier, tu es un artiste. Si tu veux te