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prendre ; il y a ceux qui attendent chaque jour l’événement du lendemain ; il y a ceux dont le génie est en un perpétuel enfantement de combinaisons industrielles ; il y a ceux qui se mettent en règle quant à leurs évolutions, en mettant la Providence de leur côté ; il y a ceux qui rédigent imperturbablement les décrets de l’avenir après avoir si bien travaillé dans le présent et dans le passé. Et au milieu de tout cela, voyez à quel étrange passe-temps une société peut se livrer avec passion, avec toute la passion de l’oisiveté morale et intellectuelle ! Elle s’est éprise pour le moment de magnétisme et de magie ; elle est tout entière à voir tourner des tables et des chapeaux par la vertu souveraine du fluide magnétique, ni plus ni moins que si Mesmer et Cagliostro vivaient encore ! Les chapeaux et les tables qui tournent, belle invention vraiment ! Et la pauvre cervelle humaine ne tourne-t-elle pas aussi ? Et la sagesse, et les opinions, et les convictions ne font-elles pas parfois de merveilleuses pirouettes ? Et pour cela il y a même bien d’autres secrets que l’électricité et la magie. On ne saurait nier au surplus que, moyennant un certain développement du principe magnétique, bien des choses seraient simplifiées. Pour peu que nous soyons réduits à la condition heureuse et intelligente des tables et des chapeaux, le monde ira tout seul à la baguette magique ; les gouvernemens n’auront qu’à se pourvoir d’une dose suffisante de fluide. L’homme n’aura besoin de rien apprendre pour tout savoir : que ne saura-t-il pas ? le passé, le présent, l’avenir. Les somnambules seront les conseillers suprêmes de la terre. La civilisation deviendra une affaire d’électricité et de nerfs. Ce que c’est que le progrès ! Nous y arriverons sans doute, et nous marquerons ce jour d’une pierre blanche, comme il faut marquer le jour de la danse des tables et des chapeaux, si heureusement venue pour distraire une société à qui il ne sembla rester rien autre chose à faire. En attendant cependant que se lève le règne tout-puissant du somnambulisme, ce pauvre monde en est à ses vieilles recettes. Les gouvernemens ont encore à administrer par les moyens les plus vulgaires, en tâchant d’y voir clair quand ils peuvent. Les intérêts suivent leur cours, les questions engagées se résolvent ou se développent ; la réalité des situations politiques se manifeste à ces mille traits ordinaires : mouvement des idées et des affaires, tendances et besoins du pays, mesures d’utilité publique, action du pouvoir, travaux législatifs.

C’est justement le moment où le corps législatif va bientôt achever sa carrière annuelle. Sa session ordinaire n’est que de trois mois, on le sait ; elle vient d’être prorogée de quelques joins et étendue jusqu’au 28 mai ; elle finissait le 13. On ne saurait se le dissimuler au surplus, le corps législatif a mené une vie modeste, analogue à la place utile sans doute, mais peu éclatante, qui lui est assignée dans les institutions actuelles : il n’a point fait parler de lui jusqu’au dernier moment, où les travaux accumulés à la fin de la session étaient de nature à ramener l’attention. Ces travaux, ce sont les lois sur les pensions civiles, sur la composition du jury, sur le budget de 1854, sur la ratification d’un traité de concession du chemin de fer de Lyon à Genève. Il est venu s’y joindre dans ces derniers jours deux projets accueillis par des impressions diverses, — l’un rétablissant la peine de mort en matière politique, abolie par la révolution de 1848, l’autre décernant à titre de