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tient parfois peut-être de l’auteur de la Peau de chagrin et de l’auteur de Colomba tout ensemble. Mais il y a une certaine originalité propre qui anime ce récit ; il y a un certain intérêt âpre et vif qui naît du théâtre même où se succèdent la plupart des scènes de la vie de Petchorin, des mœurs étranges que l’auteur fait passer sous vos yeux, du caractère de ces personnages, Petchorin lui-même, Bela, la jeune Circassienne, et ce bonhomme de capitaine Maxime Maximitch, vieux soldat de l’armée du Caucase. Dans tous les cas, ou peut par ces récits comparer l’esprit russe et l’esprit français dans ce cadre rapide et animé de la nouvelle A notre sens, l’esprit russe ne serait pas toujours vaincu. Il apparaît ici dans une de ses expressions les plus brillantes. Lermontof est un des plus grands poètes de la Russie, au niveau parfois de Pouchkine et de Gogol, et il est mort à vingt-cinq ans.

Voici quelque temps déjà, on a pu l’observer, que cette forme de la nouvelle devient la forme obligée de toutes les fictions. Il y a des nouvelles aujourd’hui comme il y avait, il y a dix ans, des romans en vingt volumes. M. Alexandre Dumas est resté le seul héros du roman qui ne finit pas, et, à vrai dire, pourquoi les romans de M. Dumas finiraient-ils ? Y a-t-il quelque raison pour qu’ils commencent ? Toujours est-il que la mode n’est plus à ces fictions incommensurables. Les recueils de récits rapides, de nouvelles, se succèdent. Malheureusement, ce qu’il y a dans Lermontof, — l’énergie du trait, la précision de l’observation, l’originalité des peintures, — est ce qui manque le plus aux nouvelles contemporaines en général, il arrive trop souvent qu’en se restreignant, le génie de la fiction ne gagne nullement en force et en relief. Qu’on prenne les Vendanges de M. Gozlan, l’un de ces recueils les plus actuels ; qu’on relise Un Homme arrivé, le plus beau Rêve d’un millionnaire, l’Histoire d’un franc : il y a longtemps déjà que l’auteur multiplie ses publications ; c’est toujours le même esprit s’aiguisant en paradoxes, le même miroitement d’images et de mots, le même effort artificiel dans un talent réel pourtant. M. Gozlan semble toujours vous dire : Vous allez voir comme cela est original et saisissant, comme ceci est ingénieux ! et il en résulte qu’on finit par ne rien trouver de démesurément ingénieux, saisissant et original. Quant aux Contes pour les jours de pluie, l’auteur, M. Edouard Plouvier, est assurément un moins ancien praticien du roman et de la fiction. Mme Sand, l’introductrice de ces contes dans le monde littéraire, croit les caractériser d’une manière suffisante, en quelques pages de préface, en disant : « Ils sont d’un goût romantique, ils ne sont point d’un esprit satanique. » Ne sont-ce pas là de très grands mois pour des récits tels que le Sphinx, Impéria, un Paradis perdu, une Ride sur un Lac ? La question n’est point précisément de savoir si des contes sont dans le genre romantique ou dans le genre satanique, mais s’ils sont dans le genre des contes qui intéressent par la nouveauté des caractères, par la finesse de l’observation, par l’étude pénétrante des nuances de la vie humaine. Avec une certaine recherche, une certaine affectation, la plupart des contes de M. Plouvier manquent d’originalité ; il y a de la subtilité prétentieuse prise pour de la sagacité, il y a une certaine élégance douteuse prise pour de la distinction. « Voici des contes charmans ! » dit Mme Sand. Oui, charmans en effet peut-être eu égard à la pluie pour laquelle ils sont faits. On ne saurait demander