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mieux pour la saison. Contes d’hiver, contes d’été, contes de printemps, contes pour la pluie et pour le soleil, chaque jour, nous le disions, a sa moisson nouvelle d’histoires rapides et fugitives. Sait-on ce qui manque dans la plupart de ces récits ? C’est que le plus souvent il n’y a point la trace secrète et vive de l’inspiration. On écrit pour écrire, on fait des nouvelles parce que le goût est aujourd’hui aux nouvelles. Ce n’est point de l’observation, c’est un à-peu-près d’observation ; ce n’est point du style, c’est un à-peu-près de style ; ce n’est point une étude intelligente et saisissante des mœurs, des passions, des mystères de la vie humaine, c’est un à-peu-près de tout cela, et ce n’est pas le moindre trait de notre situation littéraire. Cela ne s’étend-il pas d’ailleurs à tous les arts, à l’art musical comme à tous les autres ? Dans cet opéra de la Fronde que M. Niedermeyer faisait représenter l’autre jour, ne retrouvait-on pas les mêmes à-peu-près, la même incertitude d’inspiration ? Ne pouvait-on pas remarquer surtout cette tendance si fréquente chez certains talens à se méprendre sur la nature et sur l’emploi de leurs facultés ?

Il y aurait cependant, pour revenir à la littérature, et en dehors de ces voies où se traîne le génie à demi épuisé des fictions romanesques, une veine féconde à explorer dans un temps comme le nôtre ; il y aurait à faire une trouée profonde dans ce monde où nous vivons pour en saisir le mouvement intime et mystérieux. Ce serait surtout l’œuvre du génie de l’ironie et de la satire. Observation directe ou action, tableaux de mœurs ou personnifications dramatiques, il n’importe : l’essentiel serait de soumettre le monde actuel à une de ces analyses hardies et décisives qui ne laissent dans l’ombre aucune versatilité, aucun vice, aucune hypocrisie, aucune déviation morale, aucun de ces spectacles où l’ame humaine se montre dans ce qu’elle a de plus étrange et de plus saisissant. Cette œuvre viendra-t-elle ? Les élémens ne manquent point à coup sûr, c’est le génie qui manque. En attendant, nous avons une série d’esquisses de M. Louis Reybaud, les Mœurs et portraits du temps. M. Reybaud, on le sait, est un esprit distingué qui s’applique aux sujets les plus divers. Il fait de l’économie politique et de la littérature ; il a écrit des études remarquables sur les réformateurs contemporains, et il a publié un livre presque populaire, Jérôme Paturot. Jérôme Paturot est devenu une sorte de type. Il cherchait autrefois une position sociale, puis il s’est mis à la recherche de la meilleure des républiques : Jérôme Paturot a toujours eu le goût de la chimère ! Voici que l’auteur laisse aujourd’hui son type assez vulgaire et assez amusant pour peindre d’une manière plus directe quelques-uns des traits du temps actuel. M. Louis Reybaud a sans doute le goût, l’indépendance et l’honnêteté de la satire ; le malheur est qu’il n’en a point le génie : ses esquisses n’ont guère d’autre mérite que celui de journaux charivariques. C’est une succession d’articles principalement sur ces tendances dont nous parlions il n’y a qu’un instant, les tendances spéculatrices et industrielles. L’auteur en fait un tableau hardi parfois. Il y a bien des traits qui s’appliquent à des visages connus ; mais M. Louis Reybaud n’est ni un Aristophane, ni même un Addison : c’est l’auteur de Jérôme Paturot, qui saisit toujours plutôt le côté burlesque des choses que leur ironie profonde. Ce que l’industrie fait des mœurs, M. Reybaud le montre ; ce que le socialisme en eût fait, c’est ce que l’auteur d’un roman un peu singulier, la Grande