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Nuit, essaie de montrer. Ici, la peinture des mœurs socialistes dans la grande république égalitaire réalisée prend la forme d’une action et d’un drame. Ce n’est là, à tout prendre, que l’idée des scènes de M. Veuillot sur le Lendemain de la victoire, scènes écrites lorsque la victoire était encore incertaine. Qu’eût fait le socialisme en réalité, s’il eût réussi à s’emparer du monde’ ? quels drames eût-il enfantés ? quelles luttes eussent éclaté soudainement ? Toutes les conjectures sont possibles, et l’imagination peut se donner une libre carrière ; elle peut se représenter les traditions, les croyances, les instincts, les intérêts s’étreignant dans un choc formidable. Ce n’est là heureusement qu’un tableau d’imagination. Le socialisme n’est point allé jusqu’à la réalité. C’est bien assez d’être arrivé jusqu’aux esprits et aux âmes, et d’avoir communiqué à l’Europe des secousses et des terreurs dont elle ne semble pas si près de se remettre.

Si les révolutionnaires de toute nature et de tous les pays n’avaient point l’esprit fermé, comme ils l’ont, à tout ce qui n’est point leur idée ou leur ambition, ils devraient bien cependant observer un signe caractéristique : c’est leur impopularité croissante. Voyez M. Kossuth. Il y a deux ans à peine, il arrivait en triomphateur en Angleterre ; il parcourait les États-Unis en souverain, pour en sortir, il est vrai, d’une manière un peu moins victorieuse. Il sonnait toutes les fanfares de la guerre contre tous les tyrans. Le voici maintenant occupé à se sauver dans les subterfuges, tantôt déclinant toute solidarité avec M. Mazzini, tantôt forcé de recourir à la plus grande souplesse pour ne point se heurter à la loi anglaise, qui serait fort capable de méconnaître son inviolabilité de chef d’insurrection. C’est un des plus curieux épisodes de l’histoire actuelle de l’Angleterre. De quoi s’agit-il donc ? Il y a quelque temps déjà, on a saisi à Rotherhitte un dépôt considérable de poudre et de projectiles de guerre dans une maison appartenant à M. Hale, chargé de leur fabrication. Pour qui en réalité étaient fabriquées la poudre et les fusées de Rotherhitte ? Là était la question. Le gouvernement anglais a été, ce semble, assez peu délicat pour apercevoir dans tout cela la main de M. Kossuth ; il avait bien ses raisons. Comme il n’existait néanmoins pour le moment aucune preuve directe contre l’ancien dictateur hongrois, le dépositaire de la poudre, M. Hale, a été seul mis en cause ; il a déjà comparu devant la justice, et son affaire a été renvoyée devant le jury, où elle prendra peut-être des développemens de nature à dégager la moralité de toute cette histoire ; mais le plus curieux n’est point l’affaire judiciaire, c’est la comédie qui se joue à ce sujet. D’un côté, c’est M. Kossuth invoquant tous les dieux, demandant à tout le monde des nouvelles de ce que permettent ou de ce qu’interdisent les lois de l’Angleterre, consultant les légistes, se posant en victime de machinations occultes, et voyant un peu partout autour de lui des agens de police épiant ses moindres mouvemens. M. Kossuth est-il dans le fait complètement innocent de la fabrication de poudre de Rotherhitte ? Il faut distinguer : l’ancien dictateur hongrois a besoin de faire face à des conditions diverses ; il faut qu’il maintienne son rôle et qu’il se mette à l’abri des lois anglaises. Aussi déclare-t-il qu’il a des armes, beaucoup d’armes, un peu de toutes parts. — mais qu’il n’en a point en Angleterre. M. Kossuth ne laisse point en ce moment de faire une figure assez curieuse de révolutionnaire dans l’embarras. De l’autre cédé, un personnage