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M. de Maslatrie a fouillé à plusieurs reprises dans les archives des Frari à Venise, dans celles de la cour à Turin ; à Gênes, dans les archives de la Banque de Saint-George, cessionnaire de la Mahoue, compagnie formée dès le XIVe siècle pour le commerce avec Chypre. À Rome, la traduction italienne du texte grec, qui n’a pas été retrouvé, de la chronique de Strambaldi ; à Venise, la chronique italienne dite de François Amadi ; à Londres, au British Muséum, la chronique grecque de George Bustron et celle de Florio Bustron ; à Paris, les poésies de Guillaume de Machault, le Songe du vieux Pèlerin de Philippe de Maizières, chancelier de Chypre, que possède la Bibliothèque impériale, ainsi que les cartons des archives de l’empire, ait fourni à l’auteur de quoi reconstituer d’une manière complète le tableau du régime politique et administratif de la société cypriote et la narration des faits qui s’accomplirent dans son sein sous la domination de la maison de Lusignan. Ces documens, choisis et transcrits avec soin, et éclaircis par une suite de notes où une érudition sobre en général laisse apercevoir néanmoins les vastes recherches qu’elle a coûtées, ont été répartis en deux volumes, dont le premier vient de paraître. Plusieurs de ces notes offrent un attrait assez piquant de curiosité. Pour en donner une idée, je citerai une de celles qui nous font connaître les immenses richesses que le commerce faisait affluer dans les villes italiennes au moyen âge. À Florence, il existait deux compagnies, les Peruzzi et les Baldi, qui étaient en relations d’affaires avec la plupart des contrées de l’Europe, surtout avec la France, la Flandre, le Brabant et l’Angleterre, et aussi avec les royaumes de Chypre et d’Arménie. Ces négocians qui s’étaient faits les banquiers d’Edouard III dans sa guerre contre Philippe de Valois, n’ayant pu être à temps remboursés de leurs avances, faillirent en 1337 et laissèrent une dette qui s’éleva, pour les deux maisons réunies, à 1,365,000 florins d’or, représentant aujourd’hui près de 99 millions, la valeur d’un royaume ! dit tristement l’historien Villani, chez qui l’on peut voir la perturbation qu’occasionna cette catastrophe dans les affaires de Florence. Le troisième volume de M. de Maslatrie comprendra une série de mémoires sur la géographie historique ou physique de Chypre, les tribunaux et cours de justice, la hiérarchie des grands officiers de la couronne, L’organisation ecclésiastique, la condition des personnes, l’état des terres et des impositions publiques, la généalogie de la famille royale des Lusignans et celle des principales familles du royaume, d’origine française, grecque, arménienne, vénitienne, génoise et catalane, etc. Enfin le quatrième volume sera consacré au récit des évènemens dont l’île fut le théâtre pendant la période des Lusignans, et résumera tous les faits contenus dans les documens et les mémoires. Ce quatrième, volume, qui est en réalité le premier de l’ouvrage, ne viendra qu’en dernier lieu dans l’ordre de publication. L’auteur a judicieusement pensé que dans une matière neuve, et pour ainsi dire inconnue, comme celle qui forme l’objet de sa publication, il fallait avant tout donner les pièces justificatives et assurer ainsi le sol sur lequel doit reposer l’édifice qu’on a entrepris d’élever.

ED. DULAURIER.


V. DE MARS