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vous gagneront le cœur peu à peu, et donneront pour vous à cette petite composition un charme pénétrant. Le tableau appelé un Paysage représente une vaste campagne chargée d’arbres et éclairée par le soleil levant. Il y a là de la fraîcheur et déjà de la chaleur, du mystère et de l’éclat, avec des horizons de la plus suave harmonie. Une Danse au soleil couchant exprime la fin d’une belle journée. On y voit, on y sent l’apaisement des feux du jour ; sur le devant, quelques bergers et quelques bergères dansent à côté de leurs troupeaux[1].

N’est-il pas étrange qu’on ait mis Champagne dans l’école flamande ? Il est né à Bruxelles, il est vrai ; mais il est venu de fort bonne heure à Paris, et son véritable maître a été Poussin, qui lui a donné des conseils. Il a consacré son talent à la France, il y a vécu, il y est mort, et sa manière est toute française[2]. Dira-t-on qu’il doit à la Flandre sa couleur ? Nous répondons que cette qualité est bien rachetée par le grave défaut qu’il lui doit aussi, le manque d’idéalité dans les figures, et c’est de la France qu’il a appris à réparer ce défaut par la beauté de l’expression morale. Champagne est inférieur à Lesueur, mais il est de sa famille. Lui aussi, il était de ces artistes contemporains

  1. Les tableaux de Claude le Lorrain dont nous venons de parler sont au musée de Paris. En tout, il y en a treize, tandis que le seul musée de Madrid en possède presque autant, et qu’il y en a en Angleterre plus de cinquante et des plus admirables. Nous nous bornerons à citer, à la galerie nationale de Londres, l’Embarquement de la reine de Saba, qui est à la fois une marine et un paysage. M. Waagen déclare que c’est le plus beau tableau de ce genre qu’il connaisse, et que le grand paysagiste y est arrivé à sa perfection. Ce chef-d’œuvre avait été fait par Claude pour son protecteur, le duc de Bouillon. Il est signé « Claud. G. I.V. faict pour son altesse le duc de Bouillon, anno 1648. » Il s’agit ici évidemment du grand duc de Bouillon, le frère aîné de Turenne. Voilà donc un tableau Français destiné à la France qui est à jamais perdu pour elle, ainsi que ce fameux livre de vérité, Liber Veritatis, où Claude mettait les dessins de tous les tableaux qu’il entreprenait, monument précieux qui permet de contrôler l’authenticité de tous les tableaux que l’en attribue à notre grand artiste ! Il a été longtemps, comme l’Embarquement de la reine de Saba, entre les mains d’un marchand français, qui l’aurait très volontiers cédé au gouvernement, et qui, faute de trouver des acheteurs à Paris, au dernier siècle, l’a vendu en Hollande, d’où il est devenu la possession du duc de Devonshire. — A Saint-Pétersbourg, dans la galerie de l’Ermitage, parmi un très grand nombre de Claude dont il semble admettre l’authenticité, l’auteur des Musées d’Allemagne et de Russie cite quatre tableaux qu’il n’hésite pas à déclarer égaux aux plus célèbres chefs-d’œuvre du même peintre qui soient à Paris et à Londres : le Matin, le Midi, le Soir et la Nuit. Ils proviennent de la Malmaison. C’est donc la vente de la galerie d’une impératrice qui, de nos jours, a enrichi la Russie, comme vingt-cinq ans auparavant la vente de la galerie d’Orléans a enrichi l’Angleterre.
  2. La dernière Notice des tableaux exposés dans les galeries du Musée national du Louvre, bien que l’auteur, M. Villot, soit assurément un homme d’un savoir et d’un goût incontestables, s’obstine à placer Champagne dans l’école flamande. En revanche, un savant étranger, M. Waagen, le restitue à l’école française : Kunstwerke und Künstler in Paris ; Berlin, 1839, p. 651.