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Celui qui a dessiné le parc de Versailles, qui, à l’agrément des parterres, au mouvement des fontaines, au bruit harmonieux des cascades, aux ombres mystérieuses des bosquets, a su ajouter la magie d’une perspective infinie au moyen de cette large allée où la vue se prolonge sur une nappe d’eau immense pour aller se perdre en des lointains sans bornes, celui-là est un paysagiste digne d’avoir une place à côté du Poussin et du Lorrain.

Nous avons eu au moyen âge notre architecture gothique comme tous les peuples de l’Europe. Au XVIe siècle, quels architectes que Pierre Lescot, Jean Bullant, Philibert Delorme ! quels charmans palais, quels gracieux édifices que le pavillon des Tuileries, dégagé des deux ailes massives qui l’écrasent, l’Hôtel-de-Ville de Paris dans ses proportions primitives, Chambord, Écouen, la Place-Royale ! Le XVIIe siècle aussi a son architecture, originale, différente de celle du moyen âge et de celle de la renaissance, simple, austère, noble, comme la poésie de Corneille et la prose de Descartes. Etudiez sans préjugés d’école le Luxembourg de Debrosse[1], le portail de Saint-Gervais et la grande salle du Palais de Justice, du même architecte, le Palais-Cardinal et la Sorbonne de Lemercier[2], la coupole du Val-de-Grâce de Lemuet[3], l’arc de triomphe de la porte Saint-Denis de François Blondel, la colonnade du Louvre de Perrault, Versailles et surtout les Invalides de Mansart. Considérez avec attention ce dernier édifice, laissez-lui faire son impression sur votre esprit et sur votre âme, et vous arriverez aisément à y reconnaître une beauté particulière, Ce n’est point une basilique gothique, ce n’est pas non plus un monument presque païen du XVIIe siècle : il est moderne et encore chrétien. Il est vaste avec mesure, élégant avec gravité. Contemplez au soleil couchant cette coupole réfléchissant les derniers feux du jour, s’élevant doucement vers le ciel sur une courbe légère et gracieuse ; traversez cette imposante esplanade, entrez dans cette cour semblable à un cloître par ses galeries couvertes, inclinez-vous sous le dôme de cette église où donnent Vauban et Turenne : vous

  1. Quatremère de Quincy, Histoire de la vie et des ouvrages des plus célèbres architectes, t. II, p, 145 : « On ne citerait guère en aucun pays un aussi grand ensemble, qui offrît avec autant d’unité et de régularité un aspect à la fois plus varié et plus pittoresque, surtout dans la façade d’entrée. » Malheureusement cette unité a disparu, grâce aux constructions qui ont été ajoutées à l’œuvre primitive.
  2. Pour apprécier la beauté de la Sorbonne, il faut se placer dans la partie intérieure de la grande cour, et de là considérer l’effet d’élévation, successive, d’abord de l’autre partie de la cour, puis des marches du portique, puis du portique lui-même, de l’église et enfin du dôme.
  3. Quatremère de Quincy, ibid., p. 256 : « La coupole de cet édifice est une des plus belles qu’il y ait en Europe. »