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ne pourrez vous défendre d’une émotion à la fois religieuse et militaire, vous vous direz que c’est bien là l’asile de guerriers parvenus au soir de la vie et qui se préparent pour l’éternité.

Depuis, qu’est devenue l’architecture française ? Une fois sortie du caractère nouveau, ni gothique ni païen, mais moderne et vrai, que, lui avait imprimé le XVIIe siècle, elle erre de style en style, sans en trouver un qui soit le moins du monde original : elle rejette la tradition nationale et va demander des inspirations à l’art grec et romain, dont elle ne comprend pas le génie et dont elle imite maladroitement les formes. Cette architecture bâtarde, à la fois lourde et maniérée, se substitue peu à peu à la belle architecture du siècle précédent et efface partout les vestiges de l’esprit français. En voulez-vous un frappant exemple ? à Paris, prés du Luxembourg, les Condé avaient leur hôtel magnifique et sévère, d’un aspect militaire, comme il convenait à la demeure d’une famille de guerriers, et au dedans d’une splendeur presque royale. Sous ces hautes voûtes avaient été quelque temps suspendus les drapeaux espagnols conquis à Rocroy. Dans ces vastes salons s’était rassemblée l’élite de la plus grande société qui fut jamais. Ces beaux jardins avaient vu se promener Corneille et Mme de Sévigné. Molière, Bossuet, Boileau, Racine, dans la compagnie du grand Condé[1]. Il était aisé de réparer et de conserver la noble habitation : à la fin du XVIIIe siècle, un descendant des Condé l’a vendue à une bande noire pour aller bâtir cet hôtel sans caractère et sans goût qu’on appelle le Palais-Bourbon. À peu près à la même époque, il s’agissait de construire une église à la patronne de Paris, à cette Geneviève dont la légende est si touchante et si populaire. Jamais y eut-il plus lieu à un monument national et chrétien ? On pouvait même remonter au genre gothique et byzantin. Au lieu de cela, on nous a fait un immense édifice, plus massif et plus lourd, il est vrai, qu’aucune basilique du moyen âge, mais qui ressemble à un temple grec ou romain de la décadence. Quelle demeure pour la modeste et sainte bergère, si chère aux campagnes qui avoisinaient Lutèce, et dont le nom est encore vénéré du pauvre peuple qui habite ces tristes quartiers ! Voilà l’église qu’on a placée tout à côté de celle de Saint-Etienne-du-Mont, comme pour faire sentir toute la différence du christianisme et du paganisme ! car ici, malgré le mélange des styles les plus divers, c’est évidemment le style païen qui domine. Le culte chrétien ne se peut naturaliser dans cet édifice profane qui a changé tant de fois de destination ; on a beau l’appeler aujourd’hui de nouveau Sainte-Geneviève, le nom révolutionnaire de Panthéon lui demeurera. Le XVIIIe siècle n’a pas mieux traité la Madeleine

  1. Voyez les gravures de Pérelle.