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que les grands résultats qu’ils ont obtenus. Au XVIe siècle, la volonté prévalait dans l’âme humaine sur toutes les autres facultés : le caractère des hommes de cette époque était supérieur à leurs idées et même à leurs croyances ; la force de la volonté imprimait à toutes ces idées un cachet particulier et unique de dureté ; elle transformait les églises en partis poliltques, les philosophes en polémistes, et les gouvernemens, dont le rôle naturel et le seul légitime est de chercher partout les moyens termes et les transactions, en défenseurs opiniâtres et cruels d’idées fixes et de systèmes invariables. Il n’y a pas un seul homme à cette époque dont le caractère ne domine les idées. Au XVIIIe siècle au contraire, les idées étaient supérieures aux mœurs, et les écrits valaient mieux que les hommes. L’âme de Voltaire ne valait pas son intelligence, et l’Encyclopédie, quelque jugement qu’on porte sur elle, vaut mieux que la vie de ses rédacteurs, que les réunions et les soupers où elle fut projetée, que les salons où elle fut prônée et les boudoirs où elle fut lue. Toutefois cette prédominance exclusive d’une seule faculté sur toutes les autres produit des résultats qu’il faut savoir reconnaître. Au XVIe siècle, si le caractère des hommes eût été moins fort que leurs idées, la réforme eût partout été vaincue ou n’eût remporté que de stériles victoires ; elle se serait évanouie après avoir brillé un instant comme un météore philosophique, ou bien elle se serait établie partout, mais sans jeter de racines profondes nulle part. Elle serait devenue une simple opinion religieuse et philosophique soumise au caprice du public changeant des générations, mais ne se serait pas transformée en systèmes politiques, en gouvernemens traditionnels protégés par des armées, garantis par des traités. C’est donc grâce au caractère des princes et des chefs politiques que la réforme, au lieu de n’enfanter que des pamphlets théologiques et des prêches en plein vent, a pu contracter des emprunts, avoir des budgets, solder et nourrir des cavaliers, fondre des canons, établir une nouvelle civilisation dans la moitié du monde, tandis que le catholicisme restait la religion dominante dans l’autre moitié. De même, si au XVIIIe siècle l’intelligence n’avait pas été supérieure aux mœurs, s’il y avait eu autant de probité morale que d’activité intellectuelle, jamais n’aurait pu se former ce mélange singulier de scepticisme et de confiance, d’impiété et de crédulité, de cynisme et de candeur, qui distingue les hommes de cette époque, et qui était nécessaire pour que la révolution française, avec ses destructions réelles et ses espérances chimériques, fût accomplie.

Nous n’avons pas à insister sur ces exemples ; qu’il nous suffise de constater ce fait, que chaque époque a une force qui lui est propre, qui domine tyranniquement. Quelle est donc la force propre au siècle