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d’un vol, compliqué de faux, au préjudice du ministre dissident lui-même, et alors a lieu cette conversation, trop caractéristique pour que nous ne la rapportions pas.


« — Vous dites que vous n’avez pas écrit ces mots, dit M. Bradshaw en montrant la signature d’un doigt ferme et sans trembler ; je vous crois : c’est Richard Bradshaw qui les a écrits.

« — Mon cher monsieur, mon cher vieil ami, s’écria M. Benson, vous tirez des conclusions qui, j’en suis convaincu, n’ont aucun fondement ; il n’y a pas de raisons de supposer…

« — Il y a des raisons, monsieur. Ne vous troublez pas ; je suis parfaitement calme. — Ses yeux mornes comme la pierre et sa figure impassible prirent un aspect rigide.- Ce que nous devons faire maintenant, c’est punir le crime. Je n’ai pas deux poids et deux mesures pour moi et les miens et pour le reste du monde : si un étranger avait imité ma signature, j’aurais considéré comme mon devoir de le poursuivie ; vous devez poursuivre Richard en justice.

« — Je ne le ferai pas… dit M. Benson ; je ne poursuivrai pas Richard, non pas parce qu’il est votre fils, mais parce que j’hésiterais à prendre contre tout autre homme dont je connaîtrais la vie dans tous ses détails, comme je connais celle de Richard, des mesures semblables qui flétriraient son caractère pour le reste de ses jours, et détruiraient les bonnes qualités qu’il peut avoir.

« — Et quelles bonnes qualités lui reste-t-il ? demanda M. Bradshaw ; il m’a trompé, il a offensé Dieu.

« — Ne l’avons-nous pas tous offensé ? dit M. Benson à voix basse.

« — Il est inutile de parler, monsieur. Vous et moi nous ne pouvons nous accorder sur ces matières. Encore une fois, je désire que vous poursuiviez Richard, qui n’est pas plus longtemps mon fils.

« — Monsieur Bradshaw, je ne le poursuivrai pas ; je vous le dis une fois pour toutes : demain, vous serez heureux de mon refus ; je ne pourrais que vous offenser en en disant davantage à présent.

«… M. Bradshaw se dirigea silencieusement vers la porte ; mais au moment de partir il se retourna et dit :

« — S’il y avait plus d’hommes comme moi et moins d’hommes comme vous, il y aurait moins de mal dans le monde ; c’est vous autres sentimentalistes qui entretenez le péché. »


Ceci est bien anglais. Voilà certes le pharisaïsme poussé à son dernier degré de beauté morale, d’esprit de stricte et impartiale justice, de respect pour l’ordre et la légalité, mais il n’en reste pas moins le pharisaïsme pour cela, et ce même M. Bradshaw, qui livrerait sans sourciller son fils à la justice et le déshéritera par haine du mal et du crime, s’évanouira cependant en apprenant que ce fils détestable a failli perdre la vie dans un accident de chemin de fer. Par esprit de justice, il lui ferait subir plus que la mort, le déshonneur, et pourtant