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Comme on en était arrivé au dessert, et au moment où la Madelon dressait sur la table le beau gâteau doré qui avait été deviné par la friande convoitise de Zéphyr, l’apprenti, ayant terminé le déménagement de Lazare, parut lui-même sur le seuil de la salle à manger. Désignant le gâteau à l’artiste, qui était précisément occupé à le partager, Zéphyr paraissait lui rappeler sa promesse par un expressif coup d’œil. Voyant que tout le monde était de bonne humeur, et le bonhomme Protat particulièrement, qui débouchait avec circonspection une vieille bouteille de vin réservée pour les grands jours, Lazare pensa que l’apprenti ne serait point mal accueilli : il lui fit signe de s’approcher.

— Père Protat, dit le peintre au sabotier, placé de façon à ne point voir son apprenti, je me suis permis de faire espérer à Zéphyr qu’il aurait du dessert, et le voici qui vient me sommer de tenir ma promesse.

Protat tourna brusquement la tête, fronça le sourcil, et regardant le jeune garçon avec une sévérité déjà voisine de la colère: — Ah ! te voilà, petit gredin, nous avons un compte à régler depuis ce matin.

Et, s’étant levé précipitamment de table, il prit l’apprenti par le collet et l’entraîna rapidement dans le jardin. Cécile, Adeline et Lazare, restés seuls, se regardèrent, profondément étonnés de cette brusque sortie.

— Qu’arrive-t-il encore ? demanda Lazare.

— Qu’a donc fait ce pauvre garçon ? ajouta Cécile.

— Je ne sais pas, répondit Adeline, vaguement inquiète.

Au même instant, la porte s’ouvrit, Zéphyr rentra, et courut se réfugier auprès de Lazare. Derrière l’apprenti rentrait le sabotier. Tout le monde s’était levé.

— Monsieur Lazare ! s’écria Zéphyr en prenant l’artiste par le bras.

— Eh bien ! fit celui-ci, que me veux-tu ?

Le jeune garçon paraissait en proie à une grande agitation, tout son corps tremblait, ses lèvres étaient blanches et serrées, la sueur ruisselait de son front, et deux grosses larmes roulaient sur ses joues.

— Monsieur Lazare, reprit-il avec un accent où l’indignation se mêlait à la douleur, dites donc que je ne suis pas un voleur.

À ce mot, tout le monde se regarda.

— Eh bien ! dit Protat, justifie-toi. — Et le sabotier versa dans son assiette une poignée d’argent qu’il avait tirée de sa poche. Explique-moi la possession de cet argent; où l’as-tu pris ?

— Je ne l’ai pas pris, répondit Zéphyr.

— Non, père Protat, ajouta Lazare d’une voix ferme, cet argent appartient à votre apprenti : c’est le fruit de son travail.