Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/971

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu préoccupes alors des affaires du reste de l’Europe, cessait d’être suffisamment justifiée dés que Louis XIV ne prétendait plus leur imposer la tyrannie de Jacques II, et ne menaçait pas leurs intérêts commerciaux. Enfin Guillaume III s’inquiétait des dangers que recelait pour l’Europe la question de la succession espagnole, et il pensait sans doute que cette question, si difficile à résoudre, même en temps de paix, par les moyens de conciliation, rendrait la guerre interminable, si elle venait à s’ouvrir avant qu’on eût déposé les armes et qu’on eût pu essayer de se concerter.

Un accord complet avec Louis XIV était le seul moyen d’écarter ces dangers en imposant silence aux prétentions et aux passions des autres gouvernemens, moins capables de se modérer parce qu’ils étaient à la fois plus faibles, moins clairvoyans, moins habiles, et qu’ils avaient des injures à venger, des ressentimens à satisfaire. Aussi Guillaume, sans attendre même la conclusion du traité de Rysvvick, mit-il tous ses soins à ménager cet accord. Dans les pourparlers qui eurent lieu entre son confident infime, le comte de Portland, et le maréchal de Boufflers, qui commandait l’armée française en Flandres, à l’effet de hâter la signature du traité, l’envoyé de Guillaume, obéissant sans doute à des ordres formels, exprima, avec une effusion qui ressemblait presque à de l’humilité, le sentiment de vénération. et de respect dont son maître était animé pour le roi de France, et son vif désir d’obtenir l’estime et l’amitié d’un prince qu’il considérait, non-seulement comme le plus grand souverain, mais comme le plus grand homme du monde ; il donna à entendre qu’une fois la paix conclue, Louis XIV ne regretterait sans doute pas d’avoir un allié comme le roi d’Angleterre, qu’il trouverait aussi fidèle, aussi consciencieux à favoriser ses intérêts que jusqu’alors il avait pu l’être à les contrarier ; il essaya même d’insinuer que l’utilité de ces rapports intimes ne se renfermerait pas exclusivement dans le cercle de la politique, extérieure, et que les deux rois pourraient se prêter un appui mutuel contre les complots auxquels leur autorité se trouverait exposée de la part des mécontens et des rebelles. Louis XIV ne repoussa pas ces avances de celui qu’il affectait encore, dans ses dépêches officielles, de n’appeler que le prince d’Orange ; mais la condescendance altière avec laquelle il les reçut, alors qu’en réalité il entrait dans ses calculs de se rapprocher de son puissant adversaire, est un exemple curieux de la hauteur de langage dont il s’était fait une habitude. Il autorisa le maréchal de Boufflers à exprimer sa satisfaction du désir manifesté par Guillaume de mériter le retour de ses bonnes grâces ; tout en prenant acte, en termes naïvement orgueilleux, des protestations de vénération et d’admiration pour sa personne que le maréchal lui avait transmises, il se borna à y répondre par l’assurance