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public, tandis qu’on ne devrait y voir qu’un sommeil momentané dans lequel un grand peuple renouvelle ses forces épuisées. Bien peu d’années devaient suffire pour démontrer, par des faits éclatans, que l’Angleterre n’était pas en décadence ; mais les symptômes étaient tels qu’on pouvait s’y tromper, et Guillaume III, malgré sa prodigieuse sagacité, s’y trompait plus que personne.

Dans cet état de choses dont résultait incontestablement pour lui, quelles que pussent être les chances de l’avenir, un affaiblissement réel dans le présent, il sut, avec la force d’âme qui caractérise les hommes nés pour l’action et pour le pouvoir, se mettre au-dessus des irritations personnelles et des délicatesses de l’amour-propre ; il sut consacrer tous ses soins, toutes ses ressources, aux grands intérêts de l’Angleterre et de l’Europe. Il recommanda au comte de Portland de s’abstenir d’une susceptibilité inopportune et de fermer les yeux sur des procédés dont, en d’autres temps, on eût pu s’offenser. Louis XIV, de son côté, animé du même esprit de conciliation, s’efforça d’adoucir par les honneurs et les distinctions extraordinaires dont il combla l’ambassadeur d’Angleterre l’impression pénible des refus qu’il lui faisait essuyer. À l’exemple du roi, les courtisans presque sans exception prodiguaient les provenances et les caresses au représentant d’un prince dont la cause, inspirait pourtant à la France, alors si monarchique, une profonde aversion. Malgré tous ces soins, la position du comte de Portland ne fut jamais facile ni tout à fait agréable. Le voisinage de la cour de Saint-Germain et les visites, d’ailleurs assez rares, qu’elle faisait à celle de Versailles gênaient la liberté de ses mouvemens et l’obligeaient parfois à se renfermer chez lui pour éviter des rencontres embarrassantes. Un des inconvéniens des gouvernements sortis d’une révolution et par conséquent plus ou moins contestés, un des moins graves sans doute, mais un des plus inévitables, un de ceux qui survivent le plus longtemps, ce sont les difficultés de cette nature, les tracas, la malveillance sourden qui assiègent leurs envoyés dans les cours étrangères. L’expérience a prouvé qu’il n’existe pas à ce mal de remède absolu. Napoléon lui-même, dans toute sa force, dans tout son éclat, n’y put échapper complètement. Au moment même où il semblait tenir entre ses mains les destinées des peuples et des rois, ses ambassadeurs, entourés habituellement d’hommages et de flatteries, éprouvaient pourtant, au moindre nuage apparaissant sur l’horizon, au moindre soupçon de la possibilité d’une rupture, des dégoûts qui leur faisaient comprendre que le grand et glorieux empereur n’était encore admis qu’à titre provisoire dans la famille des rois. Ce que n’avaient pu la puissance et le génie de Napoléon, — l’habile modération de Louis-Philippe, placé dans des conditions si