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sont soigneusement cachés sous trois pieds de terre. Mon voyageur parisien s’attendait apparemment à trouver de jolies petites statues dorées et posées sous de belles glaces, dans des armoires de palissandre. Au lieu de cela, un guide vêtu en paysan lui offrit de descendre dans des tombeaux terreux à peine fermés par des portes grossières, qui s’ouvrent sous l’effort de grosses clés d’un pied de long, et, pour arriver à ces portes, il faut passer par des fossés rapides et glissans, où il est très facile de se casser le cou, surtout lorsqu’il a plu. Jamais je ne vis d’homme aussi furieux que mon voyageur et aussi plaisant dans sa colère contre l’Italie. — Monsieur, répétait-il souvent, je puis vous le jurer, depuis Marseille je n’ai pas dîné ! Et tout cela pour voir de pareilles horreurs !

Les voyageurs qui d’avance ont pris leur parti sur ces petits inconvéniens viennent de Rome à Cometo rechercher des produits de l’art qui déjà auraient été des antiquités du temps des Tarquins, si alors ils eussent été connus ; mais très probablement ces tombeaux n’ont été dépouillés pour la première fois que dans le bas-empire. Oubliés depuis, ils ne furent découverts de nouveau que vers 1814, et cela par un accident arrivé à une charrue. Un fermier de M. le prince de Canino labourait son champ près de Canino, gros bourg qui a donné son titre à M. Lucien Bonaparte, frère de l’empereur Napoléon. Ce joli bourg est situé dans les terres, à cinq ou six lieues de Corneto et de la mer, près de la Fiora, et à peu près au centre de l’ancienne Etrurie. Le bœuf du paysan qui labourait tomba dans un trou de douze ou quinze pieds de profondeur ; on reconnut bientôt qu’il était dans une sorte de cave assez spacieuse, et il fallut pratiquer une rampe jusqu’au fond de cette cave pour en retirer le bœuf. Les paysans s’aperçurent que les parois intérieures de la cave étaient revêtues des couleurs les plus brillantes.

Aussitôt leur imagination italienne conclut de l’éclat singulier de ces couleurs qu’elles avaient été appliquées depuis peu, et comme ils étaient bien sûrs que de mémoire d’homme personne n’avait travaillé dans leur champ, ils crurent fermement que quelque magicien était venu construire chez eux ce palais souterrain. Ils y avaient trouvé huit ou dix vases d’une belle couleur orange, ornés de peintures représentant en noir des hommes et des chevaux. Ces paysans n’ignoraient pas tout à fait le prix des vases antiques ; ils portèrent ceux-ci à Rome, et comme l’exagération n’est pas ce qui manque au caractère italien, ils demandèrent 1,400 francs de leurs vases au premier marchand d’antiquités chez lequel ils entrèrent, et leur étonnement fut grand de se voir prendre au mot ; mais ils n’eurent pas la prudence de se taire. À peine de retour au pays, ils se vantèrent de leur bonne fortune, et M. le prince de Canino, propriétaire du champ, leur intenta un procès en restitution.