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ruinait en peu de temps toute une famille, fut inventé, dit-on, par M. de Louvois, alors ministre de la guerre, et le succès en fut si merveilleux, qu’on attribua à son département la direction des conversions ou des dragonades. « Les pères seront hypocrites, disait Mme de Maintenon, mais les enfans seront catholiques. » et pour beaucoup de gens de bonne foi, ce résultat justifiait les contraintes les plus odieuses. M. Pierre Clément, dans son excellent livre sur le gouvernement de Louis XIV de 1683 à 1689, explique fort bien comment les ministres du roi le trompèrent indignement sur la sincérité de ces conversions et sur les moyens employés pour parvenir à l’extirpation de l’hérésie. Chaque fois que la vérité se fit jour jusqu’au prince, il défendit les violences, et les malheureux réformés obtinrent un instant de répit ; mais bientôt, abusé de nouveau par de faux rapports, il laissait les persécutions suivre leur cours, et ces alternatives de sévérité et de clémence furent encore plus funestes aux protestans que ne l’aurait été un système de rigueur franchement maintenu. Passant tour à tour de l’espérance au découragement, ils ne savaient à quel parti se résoudre. Ils épuisaient leurs ressources dans une résistance inutile, et lorsque enfin, à bout de patience, ils ne virent plus que l’émigration pour remède à leurs maux, la plupart, réduits au dernier dénûment, ne pouvaient faire les frais du voyage, ou bien arrivaient en mendians sur la terre étrangère.

Pendant les premières persécutions, favorisées, mais non encore avouées par le gouvernement, Fontaine se fit remarquer par sa fermeté et son adresse à se tirer des mauvais pas où l’entraînait son zèle enthousiaste. Mis en prison pour avoir prêché, bien qu’il n’eût pas encore reçu l’ordination, il se défendit fort bien, railla très agréablement le ministère public, et finit par être acquitté devant le parlement de Bordeaux. On voit par ses Mémoires que cette compagnie était en général fort peu disposée à la rigueur contre les réformés et n’obéissait qu’à contre-cœur aux ordres de la cour ; mais les ministres inférieurs de la justice voyaient dans la persécution des hérétiques une bonne occasion de les rançonner, et malgré les injonctions très précises du premier président, Jacques Fontaine ne sortit du guichet que débarrassé de tout son argent.

Il se remit à prêcher de plus belle, et comme l’humeur s’aigrit vite dans de pareilles luttes, ce n’était plus par un appel aux lois qu’il voulait défendre sa croyance ; le moment était venu, disait-il, de la soutenir à coups de fusil. Heureusement ses exhortations à la guerre civile ne produisirent aucun effet. Les dragons de mons de Louvois étaient redoutables et redoutés, et la Saintonge n’a pas, comme les Cévennes, des rochers et des précipices pour lasser et détruire des soldats réguliers dans une guerre d’escarmouches incessantes. D’ailleurs