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pensée d’un arrangement pacifique a évidemment prévalu, ne laissant place qu’à des discussions de détails qui peuvent bien tenir encore en suspens, mais qui ne semblent pas faites pour changer le dénouement. Dans l’un des plateaux de la balance on a mis la paix, dans l’autre tous ces élémens confus qui composent la question orientale ; c’est la paix qui l’emporte, c’est une victoire sans doute, et on n’a point tort d’en faire honneur à la modération des gouvernemens. Il ne faut point cependant s’y méprendre : ce n’est point dans la manière de régler l’affaire d’Orient que consiste cette victoire, c’est dans le maintien de la paix, — la paix étant aujourd’hui une condition presque indispensable d’existence pour les sociétés occidentales. Une fois de plus l’Europe est parvenue à empêcher la guerre de venir trancher les différends qui l’agitent et de remporter dans un tourbillon où on ne sait plus quel gouvernement resterait debout, quelle société soutiendrait victorieusement le choc. Quant à la question en elle-même, il n’est point douteux que la Russie ait atteint plus qu’à demi son but. Il faudrait une singulière puissance d’illusion pour imaginer que la Russie a pu voir une défaite pour elle dans la note soumise à son acceptation. Elle a accepté cette note, parce que si elle ne lui donnait pas pour le moment d’une manière absolue ce qu’elle demandait, elle le lui donnait à coup sûr en partie, et dans tous les cas laissait sa politique intacte pour l’avenir. Or c’est cette politique qui est la grande affaire ; les derniers incidens ne sont qu’un symptôme.

Si on observe les effets de cette crise, qui est aujourd’hui sur le point de se dénouer pacifiquement, il est facile d’en apercevoir quelques-uns, — les plus saillans. Les complications survenues en Orient ont eu d’abord pour résultat de rapprocher l’Angleterre et la France, et de confondre leur action en les montrant associées dans une même pensée de préservation. Non-seulement elles ont rapproché l’Angleterre et la France, elles ont encore fini par contraindre les quatre principaux cabinets du continent à s’unir pour faire face à la Russie, pour sauvegarder un grand intérêt européen sans se départir de cet autre intérêt non moins grave, — la paix générale, -qui a pris facilement la première place. Ne serait-ce point aujourd’hui pour tous les gouvernemens une œuvre intelligente et prévoyante d’accepter cette situation nouvelle comme le point de départ d’une politique commune à l’égard de l’Orient ? La paix qui se conclut au lendemain des difficultés de ces derniers mois servirait de peu, si elle ne servait pas à éclairer l’Europe sur les intérêts de prépondérance ou même de simple sécurité, si l’on veut, qui se trouvent engagés dans les conflits périodiques suscités par l’ambition croissante d’un peuple. Mais il y a dans cette question un côté qui n’est pas moins curieux, c’est le mouvement qu’elle a eu pour effet de provoquer en Orient même, parmi toutes les populations grecques dont le nom et les droits étaient invoqués par la Russie, — mouvement que nous indiquions récemment, qui continue, qui continuera après la crise, et qui trouve son expression dans une multitude de publications : Quelques Mots sur la question d’Orient, — l’Église orthodoxe. — l’Orient chrétien et l’Europe, etc. C’est d’Athènes et de Corfou que viennent quelques-unes de ces publications, précieux témoignage d’ailleurs, dans leur imperfection même, des aspirations, du travail, des tendances de ces races, Quel est l’esprit de ces brochures ? Elles sont en général d’accord sur bien des