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LES SOCIETES DE CREDIT FONCIER.


On s’occupe beaucoup de crédit foncier depuis quelques jours, à propos d’une affaire lancée avec un luxe d’annonces tout à fait exceptionnel. L’emphase des réclames a eu son effet ordinaire : elle a fait naître le désir de savoir le vrai des choses. Comme nous avons suivi avec une sympathie sincère les tentatives faites pour naturaliser en France, les banques foncières, nous nous croyons en mesure de répondre à la légitime curiosité du public.

Si l’on prenait la peine de relire une étude dans laquelle nous avons exposé théoriquement les diverses combinaisons essayées jusqu’à ce jour dans l’intérêt des propriétaires obérés[1], on verrait que l’essence du crédit foncier est de faciliter les emprunts sur biens-fonds, en garantissant les trois choses que les préteurs doivent rechercher naturellement, la solidité du gage, le paiement régulier de l’intérêt, la possibilité de rentrer à volonté dans le capital dont on s’est dessaisi. Ces conditions peuvent être réalisées de deux manières. Des compagnies de propriétaires désirant emprunter livrent successivement à chacun de ceux qui entrent dans l’association, non pas de l’argent, mais un papier garanti collectivement, que l’emprunteur négocie lui-même, à ses risques et périls, pour se procurer l’argent dont il a besoin. — Ou bien ce sont des sociétés de capitalistes spéculateurs qui lancent à la Bourse des titres hypothécaires, de même que l’état émettrait des titres de rentes, et réalisent ainsi les écus dont ils l’ont l’avance à leurs cliens. Dans le premier système, les titres, arrivant au jour le jour sur la place, y prennent naturellement le niveau des autres valeurs ; les emprunteurs, acceptant d’avance les chaînes de gain ou de perte, obtiennent l’argent à bon marché quand il abonde, le paient cher quand il est rare, ce qui est dans l’ordre, et de cette manière il n’y a pas d’obstacle à ce que les prêts se multiplient indéfiniment, Dans le second système, l’emprunteur touche exactement la somme pour laquelle il s’engage, sans courir aucune chance ; mais alors les prêts sont limités, n’ayant lieu qu’autant que les intermédiaires trouvent un bénéfice dans les négociations dont ils prennent la responsabilité.

En déclarant que la première combinaison est la plus rationnelle et la plus féconde, nous avons fait pressentir qu’elle ne prévaudrait probablement pas chez nous. L’honorable classe des propriétaires n’y brille pas par son esprit d’initiative. Aurait-elle fourni des hommes assez zélés pour organiser, sans bénéfice personnel, une entreprise d’intérêt général, pour agir auprès du pouvoir, provoquer une intelligente publicité, diriger sagement les émissions des lettres de gage et en soutenir au besoin les cours ? Parmi les emprunteurs, ignorant pour la plupart les plus vulgaires notions du crédit, en eût-on trouvé beaucoup qui consentissent à recevoir du papier pour solde de leurs bordereaux ?

  1. Voir la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er mars 1852.