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à demi pour les vaincre, et, s’appuyant même sur le vent contraire, avance par des manœuvres habilement concertées. C’est comme une puissance intelligente et insouciante qui conduit, au lieu d’entraîner. Il y a plaisir à sentir notre corvette onduler avec le mouvement de la mer, et obéir à l’impulsion du vent. Ces efforts concourent harmonieusement, au lieu de se contrarier, comme il arrive quand la vapeur et le vent sollicitent en sens contraires le bâtiment qui, à la faveur de la première, doit lutter contre le second. De plus, notre petit navire, avec ses huit ou dix passagers, ne ressemble guère à ces réceptacles immenses d’une foule ou plutôt d’une cohue qui se trouve emprisonnée pendant quelques jours dans la même geôle flottante. Tout le monde se connaît, tout le monde s’est parlé. Nous sommes presque des compagnons de chambrée. L’aspect du pont est différent de celui que présente le pont d’un bâtiment à vapeur. On y voit rôder un vilain petit chien de bord et quelques matous ; les poules qui gloussent, les pigeons qui roucoulent, donnent à notre habitation un certain air rustique ; on dirait presque la basse-cour d’une ferme, n’était que les pauvres canards sont un peu tristes de marcher sur des planches sèches ; une grande chèvre erre d’un air bête et ennuyé sur ce sol mouvant où elle ne trouve pas de rochers.

Tantôt lisant, tantôt sommeillant à demi, je vois s’éloigner les cimes montagneuses de Cuba, ou bien mon œil tombe et s’arrête, avec cette complaisance que donne l’oisiveté pour tout ce qui peut la distraire, sur les objets dont je suis environné, sur un chat par exemple qui s’est établi dans un pli de voile, où il fait sa toilette avec beaucoup de tranquillité. Ce premier jour de traversée se passe à regarder les ondulations de la mer, bleue auprès de nous, argentée à l’horizon, à faire connaissance avec nos compagnons de route, avec l’équipage où se trouvent deux matelots chinois, avec le capitaine, grand Espagnol, grave, simple, et, nous dit-on, très prudent. On s’établit, on s’arrange à bord pour le temps qu’on doit y passer. L’événement d’une journée en mer, c’est le coucher du soleil ; celui d’aujourd’hui a été magnifique ; en s’abaissant et s’élevant, la voile le cachait et le montrait tour à tour. La nuit venue, étendu au pied du grand mât, j’ai contemplé longtemps les étoiles qui semblaient osciller autour de lui ; l’air était doux, doux aussi le ciel et l’océan.


18 janvier.

Le temps est toujours beau ; le vent a augmenté ; souvent des poissons volans s’élèvent un peu au-dessus des flots, se soutiennent quelques instans, puis viennent effleurer la surface de la mer, et alors ricochent pour ainsi dire, c’est-à-dire se relèvent pour aller tomber un peu plus loin.