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Aujourd’hui comme hier, admirable coucher de soleil ; mais jamais deux de ces merveilleux spectacles gratuits ne se ressemblent. Ce soir, on a vu d’abord comme une coupole d’or resplendir à l’occident, puis la coupole a été remplacée par des amas de nuages rouges, figurant une montagne embrasée sur laquelle deux grands lions semblaient dormir.


19 janvier.

La nuit, tout semble plongé dans le sommeil ; on dirait que la corvette marche par enchantement. Dans la blancheur de l’écume, je distingue la vive clarté des étoiles phosphorescentes qui jaillissent et fuient des deux côtés du navire, je m’endors en écoutant l’eau glisser le long de ses flancs avec un bruit pareil au gazouillement d’un ruisseau.


20 janvier.

Calme plat : je comprends maintenant l’énergie de cette expression. La mer est de plomb fondu ; elle en a la couleur et semble en avoir la densité. Le bâtiment ne marche point ; il n’est pas pour cela immobile, mais il oscille comme au hasard, s’incline tantôt d’un côté tantôt de l’autre, et bat lourdement les airs de ses voiles détendues, qui retombent sur elles-mêmes de leur propre poids ; on dirait un oiseau blessé agitant ses ailes demi-brisées sur ses flancs malades. C’est un supplice de se sentir ballotté et secoué sans se voir avancer. Rien n’est plus irritant qu’un tel calme, rien n’est plus harassant qu’un tel repos.


21 janvier.

Nous avons recommencé à marcher, et on entrevoit les montagnes du Mexique. Elles ont des formes plus frappantes que les montagnes de Cuba, ce qui tient à leur origine volcanique. C’est à une semblable origine que l’horizon de Naples et l’horizon de Rome doivent en grande partie leur beauté. Nous entrons dans l’atmosphère brûlante et malsaine de la terre-chaude. Ce soir, l’air est étouffant et l’on n’ose pas rester sur le pont, car il y a tant d’humidité que tout ce que l’on touche est ruisselant.


22 janvier.

Nous voici à quinze lieues de Vera-Cruz ; nous pouvons y être demain ; si le norte (vent du nord) soufflait, nous n’y serions peut-être que dans trois semaines, car lorsque le norte s’élève avec quelque violence, ce qui est très ordinaire à cette époque de l’année, il est impossible de débarquer à Vera-Cruz, dont la rade est la plus mauvaise du monde, en supposant qu’on puisse appeler rade un lieu exposé de telle sorte que par le vent du nord il faut s’en éloigner, à la lettre, sans perdre une minute, car une minute de retard suffit pour que le bâtiment soit entraîné sur des écueils. On recommande aux voyageurs