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de se hâter de débarquer leurs effets, autrement il se pourrait qu’on ne leur donnât pas le temps de les prendre avec eux, et qu’à peine mis à terre, ils vissent le bâtiment s’éloigner avec leur bagage et aller prendre le large jusqu’à ce que le norte eût cessé de souffler. Ce terrible norte est l’élément dramatique de la traversée. Menacé d’être condamné, au moment de toucher le port, de fuir pour courir devant la tempête pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, le voyageur est dans des transes perpétuelles, et à chaque léger changement dans l’atmosphère ou dans le ciel il croit voir ce vent fatal fondre sur lui pour l’écarter du rivage qu’il est près d’atteindre. Cette fois le norte, bien que souvent annoncé, nous a été épargné, et nous arrivons au pied du château de Saint-Jean-d’Ulloa, qui nous rappelle doublement le souvenir de la France. Il a été pris vaillamment par nos soldats, et il avait été construit par un Français nommé Grandpierre. Ce château-fort n’a défendu Vera-Cruz ni contre les Français ni contre les Américains des États-Unis. Je ne sais vraiment à quoi il sert, et je suis assez de l’avis de notre capitaine, lequel disait qu’on ferait bien de jeter ce fort inutile par terre, ou plutôt dans l’eau, pour en faire un môle qui rendrait tenable la rade de Vera-Gruz. En ce moment sont étalées devant nous les carcasses d’une vingtaine de bâtimens jetés tous à la côte le même jour par ce fameux coup de vent dont on parlait tant à La Havane avant notre départ, et dont nous voyons aujourd’hui les tristes effets. Et il n’y a pas à éviter cette chance, car alors on s’expose à des chances encore plus fâcheuses. Comme le dit M. de Humboldt, pour arriver à Vera-Cruz il faut choisir entre la saison des tempêtes et la saison de la fièvre jaune : les tempêtes valent mieux, surtout quand, comme nous, on ne les rencontre point ; mais c’est vraiment avoir du bonheur, et je ne m’y attendais guère à cette époque de l’année, après avoir lu dans Volney ce formidable renseignement : « Les marins citent cette mer pour être la plus féconde de toutes celles de la zone torride en orages, en tonnerres, en trombes, en tornados ou tourbillons, en calmes étouffans et en ouragans. »


Vera-Cruz, 24 février.

Enfin nous voilà au Mexique. Malgré ce qu’on nous avait prédit à La Havane, Vera-Cruz n’est point en révolution. La représentation de la comédie révolutionnaire ou contre-révolutionnaire qu’on nous avait annoncée est retardée, peut-être de quelques semaines seulement. Il y a relâche ; mais ce serait avoir du malheur que de passer, un mois au Mexique sans y voir une révolution !

Restent la fièvre jaune et les brigands. On sait que Vera-Cruz est la terre classique de la fièvre jaune, comme la Basse-Égypte est la patrie de la peste. Heureusement pour nous, cette saison est celle où