Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1067

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils sont bottiers, cuisiniers, coiffeurs, gagnent beaucoup d’argent en peu de temps, et selon leur habitude, quand ils ont fait fortune, quittent le pays pour retourner chez eux. Il y a aussi bon nombre de négocians anglais ; en général, ils s’établissent sur un grand pied. J’ai rencontré également des négocians allemands, surtout des Hambourgeois.

Les Indiens forment la masse de la population dans l’intérieur du pays, ils en composent la presque totalité. Les Indiens sont les paysans du Mexique. L’esclavage des noirs est aboli depuis la proclamation de l’indépendance ; mais on emploie les Indiens, sous le nom de peons ou d’engagés, à faire ce que faisaient les nègres. Ils s’engagent en effet pour un an ; mais au bout de ce temps, il se trouve souvent qu’ils ont contracté une dette envers leurs patrons. Ils ne peuvent recouvrer leur liberté jusqu’à ce que cette dette soit payée. Cette situation est à quelques égards pire que l’esclavage, car le maître n’a pas les mêmes raisons de soigner son engagé que le propriétaire de soigner son esclave. S’ils sont malades, point d’infirmerie, de médecin ; ils meurent quelquefois sur le bord d’un chemin sans que personne en prenne souci.

La condition des Indiens est en général assez misérable. L’autorité a conservé envers eux des habitudes un peu espagnoles. Le clergé, à la voix de Las Casas, se déclara leur protecteur après la conquête, des inquisiteurs même prirent leur parti avec chaleur ; mais aujourd’hui j’entends dire que les curés font peu pour les instruire ou les moraliser, et même rançonnent leurs paroissiens sans miséricorde. Les pauvres Indiens peuvent dire avec le poète mexicain Galvan : « Je suis un Indien, c’est-à-dire un ver qui se tapit dans l’herbe. Toute main l’évite et tout pied le meurtrit. » Les Indiens sont d’un naturel habituellement doux et tranquille, mais dans l’occasion capables de courage et même de férocité. Ceux qui vivent dans des lieux écartés conservent certaines superstitions dont l’origine se rattache à l’ancienne religion de leurs pères. On peut lire dans le curieux Voyage de Th. Gage, écrit au XVIIe siècle, comment ce dominicain découvrit au fond des forêts, dans une grotte obscure, une idole en bois, et comment, l’ayant apportée dans sa chaire, il la détruisit à coups de hache, à la grande indignation de quelques-uns de ses paroissiens, qui, pour venger leur dieu, tentèrent même de faire à Gage un mauvais parti. Encore aujourd’hui, certains Indiens honorent les idoles que le temps a épargnées, et qu’ils appellent les vieux saints (los santos antiguos). À Mexico même, quand il y a quatre-vingts ans on eut déterré la statue d’une affreuse divinité dont je parlerai bientôt, on observa chaque matin qu’elle avait été couronnée de fleurs pendant la nuit.