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une origine latine, et veut dire un lieu planté d’ormes. Ce ne sont pas des ormes qui font la parure des alamedas des tropiques : à La Havane c’étaient des palmiers, ici ce sont des arbres au feuillage délicat dont je ne sais pas le nom, mais que je suis bien sûr de n’avoir pas vus en Europe ; Ces arbres sont toujours verts, et cependant leurs feuilles se renouvellent, mais graduellement et insensiblement, de sorte que les rameaux ne se dépouillent jamais de leur verdure. Tous les jours, je vais de grand matin à l’Alaomeda, je m’assieds sous ces beaux arbres ; je regarde et j’écoute l’eau jaillir d’une fontaine à la forme singulière, aux ornemens capricieux, qui date du XVIe siècle, et vers laquelle viennent converger les allées. Ces allées sont pavées comme dans l’Alameda de Séville. C’est un lieu très agréable. Le matin, il est très solitaire. J’y retourne à cinq heures du soir, à l’heure de la promenade. On ne fait guère que le traverser pour aller aux grandes allées. Il y a deux siècles, on y étalait le luxe de cette époque. L’Anglais Gage, dont le voyage offre une peinture curieuse de ce qu’était alors le Mexique, nous montre à l’Alameda les gentilshommes accompagnés d’une suite nombreuse, leur voiture conduite par six esclaves nègres vêtus d’une livrée brillante chargée de galons d’or et d’argent, avec des bas de soie sur leur jambe noire, des rosettes à leurs souliers et l’épée au côté. Aujourd’hui ce luxe bizarre a disparu, mais il n’y a plus d’esclaves.

La douceur et la pureté de l’air sont pour beaucoup dans le charme des promenades de Mexico. Nulle part on ne sent l’existence si égale et si légère. Au sein d’une grande ville, on respire comme dans une haute vallée de la Suisse, et l’on sait que cette oasis aérienne s’élève au milieu d’un pays brûlant. Le calme délicieux qu’on éprouve dans cette région a quelque chose de la sérénité de l’Olympe.


Dimanche, 14 mars.

J’ai eu aujourd’hui le spectacle de l’ancienne existence aztèque. Après avoir suivi une longue chaussée presque déserte, je me suis trouvé à l’extrémité de la promenade appelée las Vigas. Là, j’ai aperçu tout à coup, sur le canal qui réunit la ville au lac de Chalco, des barques remplies d’Indiens et d’Indiennes qui portaient la plupart sur leurs cheveux noirs des fleurs rouges, parmi lesquelles figurait l’œillet mexicain, qu’on employait autrefois à parer les morts. Sur les bateaux, l’on dansait et l’on jouait de la harpe. Il en est ainsi tous les dimanches. C’est probablement un souvenir de quelque vieille solennité nationale dont l’origine est oubliée. Le canal sur lequel a lieu cette promenade traditionnelle longe une allée où, à la même heure, se rassemble le beau monde. La foule civilisée a bien aussi sa physionomie un peu sauvage : à côté des calèches élégantes et des coches qui voiturent les bourgeois de Mexico, galopent des hommes