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de George Ier comme un fait irrévocable, qu’en quittant l’Angleterre il ne formait, ni dessein ni espérance du côté des Stuarts, et que les premières propositions qui lui vinrent de leur part n’avaient obtenu aucune réponse. S’il faut l’en croire, ce n’est que trois mois plus tard qu’il consentit à s’engager. Admettons, en effet, qu’il n’apportât pas avec lui la pensée que l’Angleterre fût prête à se révolter ; cette pensée, il la trouva en France. Une émigration d’outre-mer l’accréditait à Bar-le-Duc, où résidait alors le prétendant, dont les agens venaient à leur tour la propager à Versailles. C’était le sujet des correspondances du duc d’Ormond et du maréchal de Berwick. Louis XIV se ranimait à l’idée de renverser, avant de mourir, l’ouvrage de Guillaume III, et trouvait digne de sa grandeur de préparer, au mépris de la foi jurée, un armement pour la cause d’une dynastie fugitive. Torcy entrait dans ce projet, l’arrière-pensée de sa politique depuis longues années. Bolingbroke trouva sans doute qu’on était trop confiant ou trop pressé. Il pensa que toute imprudence de sa part pourrait aggraver en Angleterre son sort et celui de ses amis, car le parlement n’avait pas encore statué. Il résolut donc de quitter Paris ; mais auparavant il vit lord Stair, qui représentait en France son gouvernement, et voici ce qu’il dit en propres termes de cette entrevue dans sa lettre à sir William Wyndham : « Je lui promis de n’entrer dans aucun engagement jacobite, et je lui ai tenu parole. J’écrivis à M. le secrétaire Stanhope une lettre propre à écarter toute imputation de négliger le gouvernement, et puis me retirai en Dauphiné, pour parer à toute objection prise de ma résidence près la cour de France. » Voilà qui est positif ; cependant le maréchal de Berwick ne l’est pas moins, quand il dit dans ses Mémoires : « Au commencement de l’année 1715, milord Bolingbroke… se sauva en France. À son arrivée à Paris, je le vis en secret, et il me confirma la bonne disposition des affaires en Angleterre ; mais, ne croyant pas qu’il convint encore qu’il se mêlât publiquement des affaires du jeune roi, il se retira à Lyon, d’où, après quelques mois, nos amis lui mandèrent qu’il eût à revenir à Paris, ce qu’il fit, et alors nous agîmes de concert en toutes choses. »

Tout s’explique. À l’époque du passage de Bolingbroke à Paris, le bill d’attainder n’était pas rendu. Ce n’est que dans les premiers jours d’août que Walpole vint, au nom du comité d’enquête, porter devant la chambre des lords ses redoutables accusations. On conçoit la prudence de Bolingbroke et pourquoi il se retira à Saint-Clair, près de Vienne, sur la rive gauche du Rhône. Peut-être le choix de cette retraite fut-il déterminé par d’anciennes relations avec Mme de Tencin, qu’il avait revue, et qu’il appelait la reine des cœurs. Lord Stair croyait même qu’il l’avait rencontrée sur sa route de Calais à