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rang de ses défenseurs : mais il était sujet à trop dédaigner les défauts, à trop craindre les qualités des hommes supérieurs. Il trouva chez Pulteney trop de prétention ou trop de mobilité, je ne sais ; il le négligea, le délaissa, et s’en fit un ennemi d’abord secret, puis déclaré, qui toutefois dut attendre vingt ans sa vengeance.

Deux hommes tels que Wyndham et Pulteney étaient bien capables, si leurs intérêts les rapprochaient, de concerter leurs attaques et de coaliser leurs partis ; mais Bolingbroke avait une grande réputation de talent et d’intrigue. On recherchait ses conseils, on souhaitait son concours. Qui mieux que lui saurait comment on manie la presse, on se concilie la cour, on divise une majorité ? Il était resté l’ami de Wyndham après avoir été son guide. Si la chevalerie jacobite se déchaînait contre lui, elle ne pouvait l’empêcher d’être l’avocat consultant du torysme, dont il avait été le martyr. On le savait en crédit parmi les gens de lettres ; on soupçonnait sa faveur auprès de la duchesse de Kendal. Son esprit devait plaire à Pulteney, qui devait lui plaire à son tour, et une vieille prétention à réunir dans sa race et dans sa personne les traditions monarchiques et parlementaires le rendait singulièrement propre à pratiquer la fusion des deux oppositions.

Au mois de décembre 1726, Pulteney avait fondé un journal qui se publiait, deux fois par semaine, the Craftsman [l’Artisan). Ce recueil, qui parut pendant dix ans, était dirigé par un certain Amherst, sous le pseudonyme de Caleb d’Anvers. Pulteney y semait à pleines mains l’outrage et le ridicule contre Walpole. C’était en quelque sorte un libelle périodique contre un seul homme. Les allusions les plus claires y étaient admises, les désignations les plus reconnaissables y étaient souffertes ; mais, selon l’usage et la loi, jamais le nom de Walpole n’y était écrit. À peine quelquefois une ou deux initiales le rappelaient-elles dans les passages où il était parlé de lui sans injure. Ailleurs, on se bornait à signaler à la haine publique la robinocratie[1]. C’était une exécution publique où le bourreau et le patient restaient masqués, mais ni l’un ni l’autre ne restait inconnu. Ce journal, qui sans doute est spirituellement écrit, mais qui contient assez peu d’articles sérieusement remarquables, a beaucoup contribué à diffamer Walpole et son gouvernement jusque dans l’opinion de la postérité.

Le concours de Bolingbroke était assuré au Craftsman, et ce que la rédaction contient de meilleur vient de lui. Cependant il dissimulait à son entourage cette reprise d’hostilité. Dans un billet à Swift, qui fit au printemps de 1727 son dernier voyage en Angleterre, il

  1. Robin, dimimitif de Robert.