Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétend, avec son affectation ordinaire, qu’il voudrait donner deux tiers de sa vie à l’amitié, en garder un tiers pour lui-même, et rien pour le monde. Il fait plus, il se plaint de Walpole, qui, sur la loi d’un espion, lui attribue de certains écrits. Or ces écrits, c’étaient trois lettres qu’il avait, bien réellement, au commencement de l’hiver, publiées et signées l’Ecrivain d’occasion, the occasional Writer (janvier-février 1727). Elles étaient adressées à la seule personne à laquelle elles pussent appartenir. Un auteur famélique possédé du besoin d’écrire, ayant tâté de tous les sujets, n’ayant réussi dans aucun, s’offrait pour tout défendre à celui qui voudrait acheter son zèle ; puis, sous le prétexte que ses offres n’étaient pas accueillies, il entamait une critique sévère de la politique suivie à l’égard de l’Espagne, avec laquelle aucun accommodement n’était encore fait, et des épigrammes assez vives étaient opposées aux insinuations blessantes des journaux ministériels, en même temps, sous la forme d’une vision orientale, un article, inséré dans un des premiers numéros du Craftsman, représentait un roi prisonnier d’un seul homme, une assemblée tremblante au bruit des chaînes, tant que la bourse de cet homme était remplie. La bourse se vidait, et tout changeait de face. C’était une exhortation à refuser le budget. L’idée de la captivité du roi par la vénalité du parlement était en effet la thèse qu’affectionnait Bolingbroke, thèse qu’il pouvait, sans trop d’embarras, présenter au roi lui-même, et que probablement il ramenait souvent dans ses entretiens secrets avec la duchesse de Kendal. Cette femme, gagnée par son esprit et son argent, aurait bien voulu joindre aux grosses pensions qu’elle touchait sur les deniers de l’état une véritable influence politique, et Walpole n’avait pour elle que des ménagemens. Elle s’était donc chargée de donner au roi un mémoire où Bolingbroke exposait tous les dangers que le ministère faisait courir à l’état, et finissait par une demande d’audience. Le roi remit tout simplement le mémoire à Walpole, qui soupçonna par quelles mains il avait passé, et en obtint l’aveu de la bouche même de la duchesse. Pour toute réponse, il la pria de s’unir à lui afin de résoudre le roi à donner l’audience ainsi demandée. Soit embarras, soit défiance, le roi résista longtemps. Comme tous les princes, il n’aimait pas les conversations difficiles. Il ne parlait pas anglais et ne communiquait avec Walpole lui-même qu’en mauvais latin ; mais il entendait le français, et Bolingbroke fut enfin reçu dans son cabinet. Il lui rappela ses promesses bienveillantes. Le roi lui dit qu’il lui accorderait volontiers une entière réhabilitation, mais que ses ministres assuraient qu’il régnait au parlement, surtout à la chambre des lords, tant de préventions contre lui, que la majorité n’y consentirait jamais, Bolingbroke répondit que sa majesté était trompée, que, pour que l’affaire se fît, il suffisait