Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent ensanglantés, qui rappellent l’agonie de plus d’un brave, les cacollets. La guerre se montre dans son sérieux appareil, escortée par ses saintes et glorieuses souffrances, qui, au lieu de voiler son attrait, ne font que le rehausser. La colonne se forme sur une des faces du camp. C’est là que les bataillons sont massés. On ordonne à la troupe de charger les armes. Un petit bruit, clair, net, distinct, qui court dans chaque rang, annonce qu’on flambe les fusils. En ce moment, un de ces brillans et aimables officiers dont la race ne se perdra jamais en France me jette un regard d’une amicale gaieté : « Voici, comme dit le Cantique des Cantiques, l’instant où va venir la fiancée. »

Enfin le signal est donné ; les fanfares résonnent, la troupe est en marche. Autour de nous voltigent des cavaliers arabes, tenant leurs fusils comme des lances : ce sont les cavaliers du goum. À leurs haïcks sont attachés des rameaux qui annoncent une journée de fête guerrière. On entend cette musique indigène, composée de flûtes et de tambours, dont les sons, tantôt aigus comme le sifflement des balles, tantôt pleins comme l’explosion de la poudre, s’allient si bien au bruit des combats. À l’instant où notre marche commence, il est près de trois heures et demie ; c’est une heure que j’aime partout, mais qui prend pour moi, en Afrique, un charme particulier. La chaleur du matin est tombée, l’air n’a plus rien d’oppresseur ; la vie de l’âme peut librement y circuler. La lourde et uniforme lumière du jour fait place aux chutes légères et bigarrées du soir. Le pays que nous traversons est inconnu ; nous ne savons pas quel accueil nous y est réservé : chaque rocher peut cacher des fusils. Nous apercevons çà et là, au flanc des hauteurs, quelques villages entourés d’arbres qui semblent plongés dans une paix champêtre ; des coups de feu vont peut-être en partir. On attend.

D’abord nous croyons que nos espérances vont être trompées. Des premiers gourbis que nous rencontrons, sortent des hommes et des femmes qui s’avancent jusqu’au cheval du gouverneur. Ce sont des supplians : ils ont mis leurs habits de fête. Les femmes poussent ce long cri dont elles saluent ceux qu’elles veulent réjouir et honorer. Une d’elles, qui est d’une singulière beauté, tient à la main une branche fleurie. Dans la Kabylie, heureusement l’harmonie n’a jamais régné. Auprès d’une tribu qui veut la paix vit une tribu qui veut la guerre. Un pâtre kabyle regarde brûler, en faisant paître son troupeau, le champ et la maison de son voisin. À quelques pas de ces populations empressées, nous entrons dans un pays morne et désert ; en face de nous, entre des rochers, nous apercevons des villages muets, d’où personne ne vient à notre rencontre. La colonne s’arrête ; un coup va être frappé. On voit soudain les goums qui s’élancent ; puis