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sie égoïste, pour l’analyse et la peinture des souffrances enfantées par la solitude et que la solitude ne peut consoler. Pressentir que la foule passerait bientôt de l’indifférence au dégoût, du dégoût à l’aversion, était chose trop facile ; la connaissance du présent révélait l’avenir à tous les esprits attentifs, et l’attention n’est pas un mérite dont on puisse se vanter : c’est un devoir, et rien de plus.

La transformation de la poésie personnelle n’est pas moins importante à nos yeux que le retour vers l’antiquité, vers la tradition chrétienne. Quoique cette transformation n’ait pas encore porté tous ses fruits, je m’efforcerai d’en parler avec indulgence. Je ne demanderai pas à l’idée naissante les œuvres qui n’appartiennent qu’à l’idée mûrie par une longue réflexion. Je tacherai d’apprécier les faits accomplis, non pas en eux-mêmes, mais d’après l’intention dont ils relèvent. Si je me trompe, j’espère au moins ne pas pécher par excès de sévérité. Je sens et je professe une vive sympathie pour tous les esprits qui comprennent la nécessité des affections et ne cherchent pas dans la passion pour la solitude un signe de royauté intellectuelle. J’accepte sans réserve ce verset de l’Ecclésiaste : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. »

Avant d’examiner les Études antiques de M. Ponsard, je dois parler de la préface. M. Ponsard n’entend pas raillerie sur la critique. J’avais cru pouvoir lui dire qu’il se méprenait sur le caractère des bacchantes, et je m’étais modestement abrité derrière. Virgile et Euripide. L’auteur d’Ulysse s’est bien gardé de répondre directement à mon objection, et en effet la tâche eût été plus que difficile. De quelque manière qu’on envisage la tragédie des Bacchantes, il est impossible d’y découvrir l’apologie de M. Ponsard. Aussi le poète, indigné du reproche que je lui adressais, n’a rien trouvé de mieux que de me comparer à Tityre, en parodiant les deux premiers vers de la première églogue pour me prouver qu’il sait Virgile par cœur. J’admire avec tout le monde, comme je le dois, l’exquise finesse de cette ingénieuse plaisanterie ; je reconnais, sans me faire prier, que j’écris avec une plume de mince valeur. Malheureusement pour M. Ponsard, ma plume valût-elle cent fois moins encore, la tragédie d’Euripide, la vingt-sixième idylle de Théocrite et le troisième livre des Métamorphoses d’Ovide seraient encore là pour me donner raison : le poète athénien, le poète sicilien et le poète romain racontent de la même manière la mort de Penthée. Je ne croyais pas devoir répondre à ces aimables gausseries. Ceux qui connaissent l’antiquité partagent mon avis, je devais naturellement me contenter de leurs suffrages : quant à ceux qui ne la connaissent pas, je n’ai pas à m’inquiéter de leur opinion ; mais on m’assure que les gens du monde, brouillés depuis longtemps avec les études de leur jeunesse, donnent