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cueilli par un armurier de Cumes, le charme et l’intéresse par l’éclat et la variété de ses récits. Malgré les instances de son hôte, il ne veut pas s’asseoir à sa table sans payer son écot. Il espère que les notables de la ville, après avoir entendu un chant de l’Odyssée, n’hésiteront pas à lui assigner une pension sur le trésor public. Vaine espérance ! les notables de Cumes écoutent sans émotion l’entretien d’Ulysse et de Nausicaa. Ignorans, égoïstes, sourds aux accens du génie, ils demandent à quoi sert la poésie. Un bourgeois du Marais ne parlerait pas autrement. Après une délibération de quelques instans, les notables de Cumes décident à l’unanimité qu’ils ne prendront pas à leur charge l’aveugle mendiant. Il paraît que dans cette ville maudite, au dire du moins de M. Ponsard, l’avarice et l’ignorance ne régnaient pas seules ; il y avait parmi ces boutiquiers sans entrailles, sans lettres et sans goût, des critiques envieux, comme dans notre malheureux pays, qui se plaisaient à dénigrer le génie. En traçant le portrait de ces critiques de Cumes, l’héritier de Corneille, de Molière et de Racine s’en est donné à cœur joie. En lisant cette page écrite sur l’airain avec un stylet d’acier, tout homme habitué à dire son avis sur les poètes de son temps sent ses cheveux se dresser sur sa tête, un frisson d’épouvante glace le sang dans ses veines. En présence de son image, il reconnaît toute son indignité, et comprend, mais trop tard, hélas ! que les poètes sont infaillibles, et que la discussion la plus modeste est une atteinte portée à leur inviolabilité.

Il faut pourtant bien parler du chant de l’Odyssée traduit par M. Ponsard. Je n’aborde qu’en tremblant cette tâche difficile. Quand l’auteur d’Ulysse parle en son nom, quand il nous raconte l’entretien d’Homère et de Tychius l’armurier, il parle une langue qui n’est pas celle d’André Chénier, je le reconnais volontiers. Les images ne sont pas toujours bien choisies ; parfois la rime amène des idées quelque peu puériles, dont la vile prose ne s’accommoderait pas. L’imitation de la période homérique, toujours évidente, est bien rarement heureuse. Lorsque Homère parle à son tour par la bouche de M. Ponsard, hélas ! nous avons grand’ peine à le reconnaître. André Chénier, ce poète si maladroit, tout au plus virgilien, ne trouvant pas dans notre langue l’équivalent précis de l’expression homérique, s’est laissé plus d’une fois séduire par le charme d’une périphrase élégante ; ce n’est pas moi qui entreprendrai de le défendre. Il rappelle, sans les égaler, la finesse attique, la mollesse ionienne. M. Ponsard dédaigne résolument la périphrase ; par malheur, il confond la trivialité avec la simplicité. Au risque de me voir confondu avec les critiques de Cumes, j’oserai dire que je préfère le style à peine virgilien d’André Chénier au style homérique de M. Ponsard. Je n’aime pas la périphrase, et j’aime encore moins les expressions crues et tri-