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librement pendant quelques années, il revenait en France et publiait dans un style simple et familier le récit de ses impressions, et c’est au moment où il se préparait à recueillir le fruit de son travail que la mort est venue le frapper. Doué d’un caractère bienveillant, il n’a pas eu un seul jour d’amertume et de dégoût. Tous ceux qui l’ont connu le regrettent, car il s’intéressait aux succès de ses amis beaucoup plus vivement qu’à lui-même. Il ne se contentait pas de les applaudir ; il recrutait pour eux des applaudissemens. Au théâtre, quand il voyait la soirée compromise, il réchauffait les tièdes, soutenait les pusillanimes, et, la bataille gagnée, se sentait plus heureux que le vainqueur. Cette nature généreuse se réfléchit tout entière dans les deux livres qu’il a laissés. Dans son voyage d’Athènes à Baalbek comme dans son volume de poésies, le souvenir de ses amis occupe toujours la première place. Son talent n’avait pas encore atteint une maturité complète ; il y a pourtant dans ses épîtres familières plus d’une page qui mérite d’être citée. La meilleure, à mon avis, de toutes ces épîtres s’adresse à un compagnon de voyage, dont M. Charles Reynaud ne dit pas le nom. C’est avec ce compagnon, ce camarade de jeunesse, qu’il a visité l’Orient. Il y a dans cette pièce un sentiment très vrai de la nature et de la vie nomade qui se traduit en vers simples et ingénieux ; mais le poète ne s’en tient pas là. Après avoir rappelé les émotions du voyage, les rêves de ses nuits passées à la belle étoile, il fait un retour sur lui-même et songe à la fuite des années ; puis, comparant ses visions de vingt ans et la réalité qui s’offre à lui dix ans plus tard, au lieu de gémir sur les illusions qui s’envolent, il se console du présent en ressuscitant le passé. Le temps n’est plus où, couché sur l’herbe, enveloppé dans son bernous, entre le chameau accroupi et les chevaux entravés, il voyait passer dans son imagination ardente des femmes demi-voilées qui s’offraient à ses caresses. L’ébène de ses cheveux est déjà semé de fils d’argent ; la raison succède à la rêverie. Le poète, au lieu de s’affliger, prend bravement son parti ; il possède dans ses souvenirs un trésor que personne ne saurait lui disputer. Accoudé sur le bras de son fauteuil, tête-à-tête avec un ami, en face d’un feu de genêts, il se met à revivre les jours évanouis et nargue joyeusement la fuite des années. Les amis de M. Charles Reynaud ont cité avec raison la Ferme à midi. Il y a en effet dans cette petite pièce si courte plusieurs traits d’une vérité précieuse ; c’est la vie des champs finement observée, rendue avec un rare bonheur. Je regrette seulement que l’auteur, au lieu de s’en tenir à la peinture de ses impressions personnelles, ait mêlé à ce tableau si frais, d’un effet si salutaire, la pensée de nos discordes civiles. Les chevaux dételés, les bergers endormis près des laboureurs, la chèvre broutant