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par vingt sentences de mort, quinze condamnations aux fers et trois au bannissement perpétuel. Parmi les condamnes à mort se trouvent d’anciens ministres, d’anciens députes, des prêtres, des écrivains, le duc Cirelli, le bacon de Dominicis, M. La Cecilia, M. Salicetti, M. Paolo Ruggiero. On a certainement quelque droit de croire que le roi de Nantes ne laissera pas s’exécuter ces sentences terribles. Ce qui fait, disons-nous, que la situation du Piémont est d’autant plus grave dans des conditions difficiles où se trouve l’Italie, c’est que le sol piémontais sert d’asile à beaucoup de ces réfugiés atteints par les autres gouvernemens, par l’Autriche en particulier. Le Piémont doit aux émigrés italiens la sécurité de l’asile qu’il leur offre, et il doit aussi à son propre intérêt, à la sûreté de ses institutions, de vivre le plus possible en bonne intelligence avec les autres gouvernemens de la péninsule. Si le prestige du droit a fait sa force au commencement de son démêlé avec l’Autriche, c’est sa modération et sa prudence qui doivent maintenir ces avantages.

Une autre question assurément aussi délicate et qui se rattache à un ordre de conflits politiques dont l’importance doit inévitablement s’accroître dans un avenir plus ou moins lointain, c’est un incident survenu dans le port de Smyrne et qui a mis en présence l’Autriche et les États-Unis. De quoi s’agissait-il ? un réfugié hongrois du nom de Martin Costa se trouvait à Smyrne. Le consul d’Autriche a eu la malheureuse pensée de vouloir s’emparer de ce réfugié ; il l’a fait enlever, à l’aidé de quelques hommes armés, dans un café turc, et il l’a remis au brick autrichien le Hussard. Aussitôt le capitaine américain Ingraham, commandant le vaisseau le Saint-Louis, a préparé ses batteries et a menacé d’ouvrir le feu sur le navire autrichien, si on ne lui livrait le réfugié prisonnier, en se fondant sur ce que Costa avait fait aux États-Unis les démarches nécessaires pour devenir citoyen américain, et avait acquis ainsi des droits à la protection du pavillon de l’Union. Heureusement le conflit matériel s’est arrêté là, et le réfugié Costa a été en fin de compte remis à la garde du consul de France, qui ne doit le livrer que sur la demande collective des consuls d’Autriche et des États-Unis. Quand cette demande viendra-t-elle ? Elle ne peut évidemment se produire que quand la question sera diplomatiquement vidée entre les deux pays. Or cette question ne se présente pas dans des conditions très propres à favoriser un prompt et surtout un amiable dénoûment. Le gouvernement autrichien, pour sa part, a récompensé le commandant du brick le Hussard et son consul à Smyrne pour leur conduite énergique ; il a adressé au cabinet de Washington et aux autres gouvernemens un mémorandum où, d’après le droit des gens, il repousse les prétentions des États-Unis, et appelle la condamnation sur la conduit, du capitaine Ingraham : de son côté, le cabinet de Washington paraît approuver entièrement l’acte du commandant du Saint-Louis. Dans les villes américaines le nom du capitaine Ingrabam est salué par des applaudissemens enthousiastes.

Si on se souvient qu’il y a deux ans les ovations décernées à M. Kossuth amenaient une sorte de rupture entre l’Autriche et les États-Unis, on comprendra que des incidens comme celui de Smyrne soient assez propres à réchauffer ce vieux levain. Le malheur est que, des deux côtés, il y a eu des actes également injustifiables. Il est évident que le consul d’Autriche ne pouvait