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sérieusement se prévaloir d’aucun privilège pour mettre la main de sa propre autorité sur un homme résidant en pays neutre : en usant de violence, il s’exposait à provoquer l’emploi d’un moyen semblable ; mais en même temps comment admettre que, sans déclaration de guerre, le commandant d’un vaisseau puisse ouvrir le feu sur un autre navire dans un port neutre ? Et en outre, le réfugié Costa eût-il fait les démarches préliminaires pour acquérir le titre de citoyen américain, il n’avait pas encore ce titre, d’après la législation américaine elle-même, il y a donc eu des deux côtés excès de prétentions et abus de la force. Ce qui est le plus caractéristique et le plus grave dans ce fait, c’est la tendance qu’il révèle, c’est la politique qu’il annonce une fois de plus de la part des États-Unis vis-à-vis de l’Europe. On a vu récemment les protestations de M. Soulé en faveur de tous les opprimés, selon son langage ; l’acte du capitaine Ingraham est la mise en pratique des paroles du ministre de l’Union à Madrid, c’est la protection des Elals-Unis étendue et assurée à tous ceux qui sont en lutte avec leur gouvernement. Et dans ces termes, on en conviendra, il est difficile que l’Europe reconnaisse ce droit singulier d’intervention en faveur de tous les révolutionnaires à qui il peut plaire d’invoquer le nom américain. Aussi ne serait-il pas surprenant que les gouvernemens européens se concertassent pour repousser ces prétentions. Déjà, dit-on, les cabinets s’en sont occupés En attendant, le fait de Smyrne subsiste avec les conséquences qu’il peut avoir, et le réfugié Costa nous semble fort devoir prolonger son séjour au consulat de. France, s’il faut, pour le rendre complètement à la liberté, une demande collective de l’Autriche et des États-Unis.

À ces incidens divers, dont l’ensemble forme la situation actuelle de l’Europe dans ce qu’elle a de plus de saillant, se rattachent, on le voit, bien des questions délicates et graves touchant à la sécurité générale du continent, aux relations internationales, aux rapports qui tendent sans cesse à s’accroître en se compliquant entre l’ancien monde et l’audacieuse race américaine. Il y a aussi les faits purement domestiques pour chaque pays. Sans doute, même dans un événement comme celui qui vient de s’accomplir en Belgique, — le mariage du prince royal avec une archiduchesse d’Autriche. — même dans les efforts que ne cesse de faire l’Espagne pour savoir dans quel sens elle doit marcher, à quelle influence elle doit obéir, — sans doute dans ces faits il y a un intérêt général ; mais ici les considérations intérieures prédominent. Dans cet ordre de faits suffisamment graves, mais qui ne perdent pas entièrement le caractère domestique, la Hollande a sa part comme les autres pays. Les questions religieuses suscitées il y a quelques mois viennent de trouver leur solution. La loi proposée par le cabinet hollandais pour régler la surveillance de l’état sur les communions religieuses a reçu aujourd’hui la sanction des deux chambres de La Haye.

C’est après quinze jours de débats remarquables que ces difficultés ont été tranchées par le vole des états-généraux. Dans cette lutte parlementaire, le gouvernement était appuyé par le parti réformé historique, par la fraction modérée du parti libéral qui s’est rattachée au nouveau ministère ; de l’autre côté étaient naturellement au premier rang les catholiques et les libéraux plus avancés qui avaient soutenu l’ancien cabinet, dirigé par M. Thorbecke.