Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Colbert l’administration, Turenne et Condé la grande guerre, Molière la comédie, Corneille l’épopée dramatique, Pascal la prose éloquente et simple, Boileau la critique littéraire, Descartes la science d’apprendre et de raisonner. Puis à côté de ces hommes que leur génie a popularisés en les immortalisant se placent des savans ou des écrivains plus spéciaux, et par cela même moins en vue, mais qui, par la nouveauté et l’importance de leurs travaux, sont dignes d’une égale admiration. Au premier rang de ces vieux illustres, il faut, nommer Du Cange, le créateur de la science du moyen âge, ou pour mieux dire, le père de notre histoire nationale. Consulté sans cesse comme un guide infaillible par tous ceux qui depuis tantôt deux siècles étudient le passé, ce savant que l’Europe nous envie sans lui trouver de rival, et qui a élevé à l’érudition le plus grand monument de l’antiquité et des temps modernes, n’a point eu à attendre de la postérité une réhabilitation tardive. Sans soupçonner lui-même la portée et l’étendue de son œuvre, il a joui vivant, de la considération qui s’attachait à sa personne et à ses travaux, et le XVIIe siècle, comme le XVIIIe, lui a rendu pleine justice. « Si l’on veut des recherches historiques, a dit Voltaire, trouvera-t-on quelque chose de plus sagace et de plus profond que celles de Du Cange ? De tels hommes méritent notre éternelle reconnaissance. » La reconnaissance n’a point fait défaut ; mais aussi longtemps que la science historique est restée concentrée aux mains du clergé, des ordres religieux et de quelques membres des universités et des académies, la renommée de l’auteur du Glossaire, toute grande qu’elle fût, dut nécessairement se trouver renfermée dans un cercle assez étroit. Il n’en est plus de même aujourd’hui. La science s’est morcelée comme la propriété féodale, et si les véritables savans sont aussi rares que par le passé, ceux qui s’efforcent de le devenir sont du moins beaucoup plus nombreux. De là la popularité toujours croissante du nom de Du Cange, qui semble, comme ses contemporains du grand siècle, grandir par la distance et surtout par la comparaison.

En 1764, l’académie d’Amiens mit au concours l’éloge du savant que cette vieille capitale de la Picardie s’honore de compter au premier rang de ses illustrations, et quatre-vingts ans après ce premier hommage, la Société des antiquaires de la même ville ouvrait une souscription pour élever une statue à l’auteur du Glossaire. La statue, œuvre remarquable d’un Amiénois, M. de Forceville, fut inaugurée le 20 août 1849. Cette circonstance, qui sans doute n’ajoutait rien à la gloire de Du Cange, rappela cependant sur sa personne l’attention publique. Au milieu des graves préoccupations qui en ce moment absorbaient tous les esprits, ce fut comme une surprise de voir l’une de nos villes les plus importantes faire trêve à la politique, et se recueillir au milieu de l’agitation générale, pour rendre hommage à l’homme dont la vie tout entière avait été consacrée à l’étude d’un passé dont l’esprit même de la révolution qui venait de s’accomplir semblait nous avoir éloignés brusquement de plusieurs siècles en un jour. Les discours académiques et les médailles sont venus interpréter la statue. M. de Falloux, alors ministre de l’instruction publique, décida que les œuvres de Du Cange les plus importantes, qui étaient restées inédites, seraient publiées aux frais de l’état. Et tout récemment a paru, sous ce titre : Étude sur la vie et les ouvrages de Du Cange, une appréciation intéressante, dans laquelle on s’attache à faire connaître à la fois