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l’homme et l’érudit : l’homme avec ses goûts simples et modestes, ses vertus de Camille, son attachement inviolable aux devoirs qui font le bonheur et la dignité de la vie ; l’érudit avec l’immensité de ses travaux, l’universalité de sa science, et cette sagacité divinatrice qui révéla un monde dont personne encore n’avait fait parler les ruines. Déjà l’auteur de cette étude, M. Feugère, avait publié de curieux travaux sur la littérature du XVIe et du XVIIe siècles, entre autres des Études sur la vie et les ouvrages d’Étienne de La Boëtie, sur Étienne Pasquier, sur Mlle de Gournay, ainsi que des éditions annotées de la Précellence du langage français et de sa conformité avec le grec, de Henri Estienne. C’était là, pour étudier Du Cange, une excellente préparation ; mais il est à regretter que M. Feugère, au lieu de mêler l’histoire et l’analyse des ouvrages du savant amiénois à la biographie, n’ait pas fait deux parts distinctes, et surtout qu’il n’ait point rangé en ordre méthodique les écrits de ce savant illustre. cette simple division eût donné sans aucun doute plus de relief à chaque chose, elle eût fait mieux comprendre en même temps la grandeur de l’ensemble, il est à regretter aussi qu’au lieu de disséminer çà et là dans son volume, les indications biographiques, il n’ait point dressé le catalogue complet, non-seulement des imprimés, mais encore des manuscrits, en ajoutant à ces derniers les numéros qu’ils portent dans les bibliothèques publiques. Il eût, nous le savons, plus que doublé son travail ; mais quand il s’agit du père de notre histoire, rien n’est à négliger, et le formalisme de l’érudition même la plus minutieuse est en quelque sorte obligatoire.

La famille de Du Cange, originaire de Calais, avait pris une part glorieuse à la défense de cette ville contre le roi d’Angleterre Édouard III en 1347. Expulsée par le vainqueur après s’être vue dépouillée de tous ses biens, elle vint se fixer en Picardie, où elle occupa dés le XVe siècle diverses charges de judicature. À la fin du siècle suivant, le père de notre érudit remplissait dans cette même province les fonctions de prévôt et de juge royal, comme le père de Corneille remplissait en Normandie les fonctions d’avocat du roi à la table de marbre ; nous ne ferions pas ici ce rapprochement, assez insignifiant en lui-même, si la vie et le caractère de Corneille et de Du Cange n’offraient encore sur d’autres points une conformité singulière. Malgré la sévérité de sa charge et l’aridité de ses études officielles, le père de Du Cange était un homme aimable, instruit, sans pédantisme, chose rare dans tous les temps, qui faisait agréablement des vers, et savait les langues grecque et latine comme on ne les sait plus aujourd’hui lors même qu’on les enseigne, c’est-à-dire assez pour les bien écrire et les bien parler. Du Cange, qui naquit le 18 décembre 1610, se trouva donc placé tout enfant dans un milieu qui dut nécessairement influer sur sa vocation. Par l’ancienneté et les souvenirs de sa famille, il se trouvait personnellement intéressé à l’histoire. La science de son père devait l’initier sans effort à l’antiquité classique, et les fonctions auxquelles il était destiné rendaient pour lui la connaissance de la législation obligatoire. Tout jeune encore, il fit marcher de front l’étude du droit, de l’antiquité classique et de l’histoire. À treize ans, il savait le grec, à dix-huit, il terminait son cours de droit à l’université d’Orléans, et à vingt et un ans, le 11 août 1631, il prêtait devant le parlement de Paris le serment d’avocat, comme Corneille, cinq ans auparavant, en 1627, au même âge et à la faveur de