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à l’épouser comme vous le devez. » Le tout était signé d’un nom inconnu, avec deux poignards en sautoir.

— Qui m’a envoyé ce poisson d’avril ? dit M. de X… Cependant cette pensée le préoccupait, et il crut devoir prendre quelques renseignemens sur l’existence du personnage qui avait signé la lettre. — C’est un bandit, lui dit-on ; un très honnête homme, monsieur. Il ne vous demandera jamais rien que de juste ; mais avec lui il ne faut pas gauchir, on y jouerait sa peau. Avez-vous affaire à lui ?

— Non, dit-il. J’avais entendu prononcer son nom ; je voulais savoir quel homme c’était.

L’habitant de la Propriété retourna soucieux à ses travaux ordinaires. En ce moment-là, il construisait à lui seul un quai devant son port. Chaque jour il apportait une grosse pierre et nivelait le terrain. Un soir qu’il était assis devant le feu de sa cuisine, fumant gravement sa pipe, un homme de haute taille entra, le salua poliment et lui demanda un instant d’entretien. M. de X… n’aimait pas la figure de cet inconnu ; mais il n’était pas homme à reculer, et il ouvrit la porte de la chambre voisine. Quand ils furent seuls : — Monsieur, dit l’étranger, c’est moi qui ai eu l’honneur de vous écrire.

— En ce cas, monsieur, vous me permettrez de vous dire que vous avez la tête à l’envers.

— Non pas, monsieur. Cette petite effrontée est venue me trouver : elle sait que je suis honnête homme [gualant’ uomo) et que je n’aime pas l’injustice. Elle a si bien entortillé ses phrases, que j’ai cru qu’elle allait vous rendre père. Elle sait que mes prières ont le bonheur d’être souvent exaucées.

— Celle-là n’est pas en chemin de réussir, murmura M. de X… d’un ton de colère contenue.

— Enfin, voyant que vous ne vous pressiez pas d’en finir, j’ai voulu aller aux renseignemens au risque de ma peau, monsieur. Hier soir je suis venu à la ville. Je voulais en avoir le cœur net, et il est résulté de mes renseignemens que la petite m’a trompé. Je lui ai dit deux mots à l’oreille qu’elle n’oubliera pas ; mais je n’ai pas voulu quitter le pays sans venir vous faire mes excuses. Je serais désolé que vous me prissiez pour ce que je ne suis pas.

— Ma foi ! vous êtes un galant homme, lui dit M. de X… en respirant plus à l’aise. Avez-vous soupé ?

— Non, monsieur. J’ai toute la nuit devant moi.

Et les deux nouvelles connaissances soupèrent gaiement ensemble.

— Et qu’auriez-vous fait, dit le maître de la maison en congédiant son hôte sur le coup de minuit, si la petite avait dit vrai ?

— Vous l’auriez épousée ; je vous honore trop pour penser le contraire.