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qu’il fallait en faire disparaître les derniers vestiges et frapper un coup décisif pour abattre le petit nombre de ceux qui s’obstinaient encore dans la foi nouvelle. Dans cette pensée, il signa, le 22 octobre 1685, la révocation de l’édit de Nantes. Les considérans de cet édit célèbre portaient que tous les efforts de son aïeul et de son père avaient eu pour but de faire triompher la religion chrétienne, mais que la mort de Henri IV et les guerres soutenues par Louis XIII avaient retardé l’accomplissement de ce grand dessein ; qu’il avait, quant à lui, continué leur œuvre, et plus heureusement, « puisque la meilleure et la plus grande partie de ses sujets de la religion prétendue réformée avaient embrassé la religion catholique. » En conséquence, l’édit de Nantes était inutile, et il le révoquait, ainsi que tous les articles particuliers qui avaient été ajoutés depuis. Le grand roi cependant n’était point tellement rassuré sur son triomphe, qu’il ne crût devoir recourir aux mesures les plus rigoureuses pour le consolider. Par une contradiction singulière, après avoir déclaré que le protestantisme était abattu, il le traitait encore comme un ennemi redoutable, et il ordonnait que tous les temples fussent démolis, les enfans baptisés par les curés des paroisses et les écoles des religionnaires fermées dans tout le royaume. Les ministres devaient se convertir ou quitter la France dans un délai de quinze jours sous peine des galères, et, par une contradiction nouvelle, tandis que l’édit plaçait les pasteurs réformés entre l’exil ou la conversion, il défendait en même temps aux autres réformés de sortir du royaume. Après les avoir privés de toute liberté religieuse et civile, le roi les enchaînait ainsi à la persécution, en attendant qu’il plût à Dieu de les éclairer.

Le jour même où fut enregistré l’édit de révocation, on commença la démolition des temples. Ce fut une véritable croisade, et dans tous les rangs de la population catholique on applaudit à ce qu’on appelait la piété du roi et à la victoire qu’il venait de remporter sur l’hérésie. La révocation de l’édit de Nantes, il est triste de le dire, fut populaire comme la Saint-Barthélémy. Les jansénistes applaudirent, tout en recommandant la modération ; les jésuites applaudirent en recommandant la violence, et parmi les personnages éminens qui combattirent ou blâmèrent les convertisseurs, on ne cite guère que le marquis d’Aguesseau, le cardinal de Noailles, le marquis de Pomponne, Catinat, Vauban, Colbert. Saint-Simon et Marine, qui dans la tragédie d’Esther, représentée en 1689, fit plusieurs allusions aux événemens qui s’accomplissaient sous ses yeux. Fénélon se prononça également pour la clémence ; il adressa au roi un mémoire où il lui donnait des avis sévères et peignait le père Lachaise, son confesseur, comme un aveugle qui en conduisait un autre : « Vous n’aimez point Dieu, disait l’archevêque de Cambrai ; vous ne le craignez même que d’une crainte d’esclave. C’est l’enfer et non pas Dieu que vous craignez. Votre religion ne consiste qu’en superstitions, en petites pratiques superficielles. Vous êtes scrupuleux sur des bagatelles et endurci sur des maux terribles, etc. » La voix de Fénelon ne fut point écoutée. Mme de Maintenon, par haine du père Lachaise, parut un instant incliner elle-même vers la modération : mais les rigueurs ne furent point adoucies.

Ce fut là la folie du grand règne, folie cruelle et qui n’eut point uniquement sa source dans les passions religieuses. On avait vu au XVIe siècle Condé