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dans son ultimatum, elle poursuivra une tentative personnelle, exclusive, et qu’on peut certainement qualifier de démesurée.

Pour tous ceux qui pèsent dans leur esprit les chances de la paix, il est une question qui a dû s’élever. Quelle est l’attitude de l’Autriche dans ces circonstances ? De quel côté penche son influence ? A-t-elle, comme on l’a dit, le rôle, sinon d’une médiatrice officielle, du moins d’une puissance s’interposant pour le maintien d’une paix à laquelle elle est la première intéressée ? La situation de l’Autriche, à vrai dire, n’est point des plus faciles. Le concours énergique qu’elle a reçu du tsar en 1849 n’a point été peut-être, autant qu’on pourrait le croire, un acte de chevaleresque désintéressement, si, comme on l’assure, en retour de ce service éminent, elle a dû s’engager moralement à se ranger du côté de la Russie dans tout conflit qui pourrait éclater. L’exécution de cet engagement semble avoir été réclamée au moment où échouaient définitivement les négociations du prince Menchikof, et, d’après des versions accréditées, l’Autriche se serait ainsi trouvée entre l’intérêt évident qu’elle avait à s’opposer, plus encore que toute autre puissance, aux projets de la Russie, — et ses obligations morales de 1849. Quelles étaient cependant les limites de ces obligations ? Un tel engagement pouvait-il s’appliquer à un conflit dont l’Autriche désapprouverait le principe aussi bien qu’à une guerre légitime ? Le cabinet de Vienne ne parait point être entré dans ces questions. Il aurait évité de discuter ses obligations ; il aurait seulement objecté que s’il détournait ses forces militaires de leur destination actuelle en Hongrie, dans la Lombardie, dans la Vénétie, pour appuyer les mouvemens des Russes sur le bas Danube, le résultat le plus clair, ce serait de livrer de nouveau ces portions de l’empire à une explosion révolutionnaire, possible surtout à un moment où les circonstances générales feraient fermenter toutes les passions. En outre, l’armée autrichienne ne risquerait-elle pas de se trouver dans une situation fausse, qui serait la source de froissemens et de mécontentemens profonds ? Si des mouvemens intérieurs éclataient, ne s’étendraient-ils pas à toute l’Allemagne, et la Russie elle-même, dans ce cas, serait-elle sûre de la Pologne ? L’engagement pris en 1849, et qui avait pour but la répression de la révolution, de concert avec la Russie, aurait ainsi pour bizarre conséquence de lui frayer de nouveau la route. Après cela, le seul rôle qui reste à l’Autriche évidemment est celui d’une intervention conciliante et modératrice, aussi conforme à ses propres intérêts qu’aux intérêts de l’Europe. De toutes les médiations qui peuvent être tentées, c’est sans nul doute la plus efficace. On s’est un peu hâté peut-être de donner à cette médiation presque un caractère officiel. L’internonce autrichien, M. de Bruck, à son arrivée à Constantinople, a dû peser de ses conseils sur le cabinet ottoman. Il n’est point étranger, assure-t-on, à la résolution du divan d’étendre ses concessions, et de donner une forme irrévocable aux garanties en faveur des chrétiens. Quant à une médiation réelle, elle n’a pu être encore ni offerte, ni acceptée, et la question d’ailleurs est de savoir si elle serait agréée par le tsar, surtout lorsque l’on considère l’immensité des préparatifs militaires qui ont précédé la mission du prince Menchikof, et semblaient dénoter une résolution déjà fort arrêtée d’aller jusqu’au bout. Si donc les bons offices de l’Autriche peuvent être une des chances de la paix, sa médiation n’en est point