Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le caractère original de leur esprit, les stimuler, par l’exemple de leurs camarades. L’émulation et l’imitation ne sont pas synonymes ; c’est une vérité banale que je n’ai pas besoin de démontrer, il me suffit de l’énoncer. Rembrandt, en partant d’un principe vrai, n’avait pas su s’arrêter à temps. L’idée qui servait de base à son enseignement, juste en elle-même, finissait par devenir fausse en arrivant à ses dernières conséquences. L’indépendance de l’esprit, respectée jusqu’à l’excès, manquait de ressort, parce qu’elle n’avait plus devant elle l’aiguillon de l’émulation ; toutefois ce trait méritait d’être rappelé, parce qu’il prouve que Rembrandt demeurait dans son enseignement fidèle aux principes qu’il pratiquait lui-même, c’est-à-dire qu’il ne voulait pas imposer à ses élèves la tradition, qu’il avait lui-même dédaignée. Si je le mentionne et si je le discute, c’est uniquement parce qu’il se coordonne d’une façon parfaite avec l’ensemble du caractère que j’ai tâché d’esquisser. S’il s’agissait d’un autre homme, ce trait serait sans importance, mais avec un homme comme Rembrandt, tout est bon à noter.

Quand on étudie un caractère aussi entier, rien n’est à dédaigner. À cet enseignement se rapporte une anecdote qui ne doit pas être omise, parce qu’elle rappelle l’avarice de Rembrandt. Ses élèves s’amusaient à peindre des florins sur des morceaux de carton ; Rembrandt ne manquait jamais de les ramasser. Je ne garantis pas l’exactitude du fait ; mais l’anecdote est caractéristique, car elle rappelle la passion du maître pour l’or. Il avait, d’ailleurs habitué ses élèves au trompe-l’œil. Un jour, pour mystifier les bourgeois d’Amsterdam, il imagina d’enlever le châssis d’une de ses fenêtres ; à la place du châssis, il mit une peinture représentant sa servante dans l’attitude d’une fille curieuse, qui regarde dans la rue : la réalité de cette image était si fidèlement rendue, que plusieurs passans s’y laissèrent prendre ; ce ne fut qu’au bout de quelques jours qu’on s’aperçut de la supercherie. Les élèves d’un tel maître n’avaient pas grand’peine à représenter des florins capables de tromper l’œil le plus exercé. Je ne veux pas négliger un fait mentionné par Sandrart, contemporain de Rembrandt : c’est qu’il demandait à chacun de ses élèves 100 florins pour étudier dans son atelier, et qu’il ajoutait à ce profit déjà fort honnête, car il s’agit de 100 florins d’or, la vente des copies exécutées par eux, et que les amateurs achetaient comme des œuvres du maître.

Dans tout ce que j’ai dit jusqu’ici, je n’ai fait aucune mention des sources auxquelles Rembrandt avait pu puiser. Les biographes n’en mentionnent qu’une seule, mais elle est d’une haute importance : il s’agit en effet des gravures de Marc-Antoine Raimondi. Ce graveur, demeuré sans rival jusqu’ici, a reproduit, comme chacun le sait, de