Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Croix comptera parmi les œuvres les plus vraies de la pointure moderne.

La Résurrection de Lazare et le Christ chassant les vendeurs du Temple se placent sur la même ligne. Le Christ debout commande à Lazare de se lever, et Lazare sort à demi de son tombeau. La stupeur des assistans est rendue avec une étonnante variété : chez les uns, l’étonnement se traduit en effroi ; chez d’autres, il est mêlé d’attendrissement et de reconnaissance. La tête de Lazare, languissante et pâle, ressemble à celle d’un homme qui s’éveillerait d’un long sommeil et chercherait à rassembler ses pensées confuses. La disposition des groupes, l’attitude des personnages, tout révèle la main d’un maître puissant et prévoyant. La physionomie du Christ est pleine de grandeur et de mansuétude, et les plis de son manteau ont une ampleur qui ajoute encore à la beauté du personnage. Rembrandt n’eût-il fait que la Résurrection de Lazare, son rang serait marqué parmi les plus habiles. Il y a dans la distribution de la lumière quelque chose de mystérieux et de magique. Quoiqu’il ait traité avec son dédain habituel le choix des costumes, il serait difficile au spectateur de s’en préoccuper, tant le peintre a su mettre d’évidence et de vivacité dans l’expression des sentimens. Ici toute comparaison avec les écoles d’Italie serait oiseuse. Rembrandt a traité le récit évangélique avec une liberté, une familiarité de style que Florence n’eût peut-être pas acceptée au XVe siècle, mais qui pourtant n’enlève rien à l’effet pathétique du miracle. La résurrection de Lazare, telle qu’il l’a comprise et rendue, émeut profondément tous ceux qui mettent la vérité de l’expression au-dessus des traditions académiques. Dans cette composition d’ailleurs, la figure du Christ respire une telle majesté, qu’elle ne permet pas aux regards de s’arrêter sur les parties secondaires. À peine remarque-t-on que le pied droit du Christ est dessiné d’une façon incomplète.

Le Christ chassant les vendeurs du Temple est une composition pleine de verve et d’énergie. La canaille, balayée par le fouet du Christ, fuit épouvantée, essayant pourtant d’emporter dans sa fuite quelques débris des denrées qu’elle exposait dans le sanctuaire. Il règne dans toute cette scène une confusion qui s’accorde merveilleusement avec le sujet. Le Christ frappe à coups redoublés. Tonneaux défoncés, pièces d’or et d’argent semées sur les dalles, bétail et publicains, tout se mêle et se confond sous le regard du spectateur. Le Christ attire d’abord tous les yeux, car il occupe le centre de la composition, et le fouet qu’il tient à deux mains ne laisse aucun doute sur la mission qu’il va remplir. Au fond, vers la droite, on aperçoit le grand-prêtre qui vient assister au châtiment des publicains. Cette figure calme et majestueuse contraste heureusement